La répression de la guerre des Paysans par le duc Antoine de Lorraine (mai 1525)

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Au début de l'année 1525, gagnés par la ferveur du luthéranisme qui commence à se répandre en Allemagne, ainsi que par des aspirations à une meilleure justice sociale et économique, de nombreux villages paysans se soulèvent en Allemagne. Ce mouvement gagne l'Alsace, où se trouvent des terres appartenant au duché de Lorraine. La crainte d'un soulèvement anti-seigneurial est d'autant plus forte de l'autre côté de la frontière de l'Empire que le roi de France, François ier, a été fait prisonnier à la suite de la bataille de Pavie : guidés par les prédications religieuses, le gouvernement français et les plus grands nobles voient dans sa captivité une punition divine pour avoir laissé l'hérésie se développer. Il convient donc de la réprimer le plus vite possible pour éviter la contagion. Cette opération militaire revient à Antoine (1489-1544), duc de Lorraine depuis 1508. Il se fait accompagner de ses vassaux, notamment son frère le duc de Guise, ainsi que de son historiographe attitré, Nicolas Volkyr ou Volcyr, sieur de Serrouville (v. 1480-1541). Il y porte un intérêt particulier car au même moment, le curé du village de Saint-Hippolyte, l'une de ses possessions alsaciennes, un nommé Wolfgang Schuch, fait face à Nancy à un procès pour hérésie luthérienne.

Le rôle de Volcyr est de dresser, pendant la campagne, un compte-rendu exact des hauts faits du duc et de son entourage, afin d'en exalter la puissance au service de la défense de la vraie foi, et l'inévitable victoire qui va s'ensuivre. En effet, le duc est très confiant dans la réussite de son armée face à des paysans peu organisés et légèrement armés. Ainsi, la campagne commence par un pèlerinage à la basilique Saint-Nicolas de Port du cardinal Jean de Lorraine, archevêque de Reims et Lyon, frère du duc, visant à garantir le soutien divin. La campagne militaire est victorieuse, d'abord à Saverne puis à Scherwiller. L'armée lorraine massacre plusieurs milliers de paysans soulevés, mettant un terme à l'extension de la révolte sur les terres ducales. Volcyr exulte, soulignant la magnanimité du duc Antoine qui consent à pardonner les villages révoltés, dans un mouvement empreint de bienveillance toute catholique. Il se met lui-même en scène, passant de témoin oculaire à acteur de son propre ouvrage, en train de prononcer un discours devant des paysans alsaciens, les persuadant d'abandonner l'hérésie.

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« Le partement de l'armée du duc Anthoine pour tirer de Sarbourg droit à Saverne. Et coment les contes de Guyse et Vaudemont ses freres gaignerent les passages. », Gabriel Salmon, 1526 (BM Nancy, Rés. 4228 Ter).

Le livre tiré de ce compte-rendu est particulièrement soigné. Tout d'abord, on soulignera qu'il est publié chez un célèbre imprimeur parisien, Galliot Du Pré, et non en Lorraine (qui ne dispose pas d'imprimerie à cette époque), afin d'atteindre une très large diffusion, Du Pré étant aussi l'imprimeur d'autres livres d'histoire exaltant la royauté, comme les Mémoires de Philippe de Commynes, l'historien de Louis xi. Autre signe d'une volonté de grande publicité, il est écrit en français, et non en latin, comme l'autre relation du même événement, le Liber Rusticiados de Laurent Pillart (Metz, 1548). Enfin, il est illustré de sept planches gravées sur bois dues à Gabriel Salmon (actif de 1504 à 1542), un graveur d'origine allemande. D'une exécution virtuose, elles renforcent par l'image les propos défendus dans le livre : la Foi ouvre le texte, le duc Antoine sur son cheval entouré d'un verset du Magnificat, l'intercession de saint Nicolas, la bataille de Saverne ornée de versets bibliques justifiant la victoire du duc, le Christ à Gethsémani, rappelant les injures infligées à la foi par l'hérésie.

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L'histoire & recueil de la triumphante et glorieuse victoire obtenue contre les seduyctz et abusez Lutheriens mescreans du pays D'Aulsays & autres…

L'Histoire et recueil de la triumphante et glorieuse victoire obtenue contre les seduyctz et abusez Lutheriens mescreans du pays d'Aulsays et autres par treshault et trespuissant prince et seigneur Anthoine, titre officiel de ce reportage de guerre sous influence religieuse marquante, est donc un monument littéraire à la gloire d'un souverain défenseur de l'Eglise au moment où son défenseur naturel, le roi de France, est empêché de jouer son rôle : publié en 1526, avant la libération de François Ier, il marque la prééminence que le duc de Lorraine compte exercer à la cour de France. Il témoigne également de la continuité de l'idéal de croisade, fortement ancré chez les plus hauts dirigeants d'Europe occidentale de la fin du Moyen Âge, au début du xvie siècle. L'ennemi n'est plus extérieur, comme lors des expéditions au Proche-Orient des xie-xiiie siècles, mais intérieur, sous la forme d'une violente et durable contestation de la foi traditionnelle et du pouvoir exercé simultanément par le pape et les souverains temporels sur les populations : le protestantisme.

 
Pour aller plus loin :
  • CULLIERE (Alain), « "L'hérésie" de Nicolas Volcyr (1534) », dans Bibliothèque d'Humanisme et de Renaissance, t. 71, 2009, p. 433-455.
  • DEBBAGI-BARANOVA (Tatiana), « Les échos de la guerre des Paysans (1525) en France », dans Aleksandr Lavrov et al. (éd.), Cris et écrits : Dire les révoltes à l'époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2024, p. 33-46. Lire en ligne.
  • HAFFEMAYER (Stéphane), «Entre révolte et révolution : enjeu de médiatisation autour des Rustauds (1525), Rochelois (1542) et Pitauds (1548) »,  dans Le Temps des médias, t. 26, 2016, p. 231-251. Lire en ligne.

 

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