Contenu du Construction et réception de la Villa Majorelle

« Une maison construite par un artiste pour un artiste »

En 1898, Louis Majorelle (1859-1926), ébéniste et industriel d’art, confie au jeune architecte parisien Henri Sauvage (1873-1932) le projet d’édification de sa maison personnelle à Nancy. Les liens entre le commanditaire et l’architecte datent de leur collaboration en 1898 pour l’aménagement et la réalisation de plusieurs salons pour le Café de Paris. Henri Sauvage est alors au tout début de sa carrière. Il s’est initié à l’architecture à l’École des Beaux-Arts de Paris et collabore à l’entreprise familiale en créant des modèles de pochoirs et de tentures.

La construction de la villa débute en 1901. Le chantier est probablement terminé l’année suivante.

Henri Sauvage rappelle dans L’Organe national, « Un artiste. L’œuvre de l’architecte Henri Sauvage et l’Exposition des Arts décoratifs » (1925),  l’opportunité que lui a laissée Majorelle en lui confiant la réalisation de cette maison :

« Enfin, Majorelle, confiant en mon jeune talent, fit le geste tant attendu. Il me confia – en 1898 – l’exécution d’une magnifique villa à Nancy. Ce fut, je crois, la première maison moderne qui y fut construite. J’y travaillai deux ans, remaniant cent fois mon ouvrage. Que ce premier client que ce bel artiste, reçoive ici, dans ce « Livre d’or » l’expression de ma plus vive gratitude pour la liberté inespérée qu’il me laissa, - ne m’imposant, malgré mon jeune âge, ni les limites d’un crédit, ni ses idées personnelles ».

Lucien Weissenburger et Louis Majorelle : une amitié de longue date

A cette époque, la Villa Majorelle est également connue sous le nom Villa Jika, surnommée ainsi en raison des initiales de l’épouse de Louis Majorelle, Jane Kretz. Le terrain d’un hectare sur lequel cette maison est construite, est acquis auprès de la belle-mère de Louis Majorelle et se situe à côté des ateliers Majorelle, édifiés en 1897 dans les faubourgs de Nancy, une zone alors en pleine expansion.

L’architecte nancéien Lucien Weissenburger (1860-1929) est l’auteur des usines Majorelle. D’une surface de 3 500 mètres carrés, ce bâtiment propose différents ateliers, abrités sous une charpente métallique et possédant de larges baies vitrées.

De forts liens d’amitié existent entre Louis Majorelle et Lucien Weissenburger qui supervise, sur place, le chantier de la Villa Majorelle. Divers clichés photographiques témoignent de ces relations, les montrant avec leurs familles, en promenade, dans la campagne ou la forêt vosgienne.

Contenu du Construction et réception de la Villa Majorelle
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Rareté des archives

Aucun plan de la Villa Majorelle n’a subsisté, ni dans les archives d’Henri Sauvage, ni dans celles de l’architecte d’exécution. Un plan simplifié du rez-de-chaussée et du premier étage est parfois publié dans les articles consacrés à cette demeure dans la presse artistique.

Seul un plan de raccordement aux égouts, conservé aux Archives Municipales de Nancy, présente, outre le système de canalisation, le sous-sol de la villa occupé par plusieurs caves et une buanderie. Ce plan est accompagné de documents administratifs datés de 1901, émanant du commanditaire, de l’entrepreneur France-Lanord et Bichaton, et du Service de la Voirie de la Ville de Nancy, confirmant cette demande de raccordement aux égouts collectifs.

Une œuvre de collaboration   

La Villa Majorelle résulte d’une collaboration entre artistes parisiens et nancéiens. Outre l’architecte et le commanditaire lui-même, sont associés à ce chantier plusieurs autres artistes.

Le peintre-verrier nancéien Jacques Gruber (1870-1936) est l’auteur de tous les vitraux de la maison dont celui du salon détruit lors de la première guerre mondiale puis remplacé. Le peintre parisien Francis Jourdain (1876-1958) réalise, pour la salle à manger, un ensemble de huit panneaux peints à l’huile sur toile. Le peintre nancéien Henri Royer (1869-1938), ami des Majorelle, intervient, en 1905, sur la terrasse de la maison en réalisant une grande peinture murale intitulée La Fin du jour. Enfin, Alexandre Bigot crée les frises extérieures et intérieures en grès, ainsi que la balustrade de la terrasse, les couronnements des cheminées extérieures et la cheminée monumentale de la salle à manger.

Les façades de la villa témoignent de l’emploi de divers matériaux et éléments décoratifs : pierre d’Euville, grès, fer forgé, fonte… dont les tonalités variées animent ces dernières.

Contenu du Construction et réception de la Villa Majorelle
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Une villa sise dans un vaste parc

La Villa Majorelle est édifiée dans un vaste parc de près d’un hectare dont le dessin libre évoque l’atmosphère des jardins du début du siècle. Certains clichés de l’album Majorelle témoignent de la présence de larges et sinueuses allées et d’un bassin baigné de plantes aquatiques, alors que le choix des essences semble caractéristique de cette époque. Il est fort probable que les plantes aient été sélectionnées parmi les variétés végétales mises au point par les horticulteurs nancéiens contemporains de Louis Majorelle, tels Félix Crousse ou Victor Lemoine que fréquentaient les artistes de l’École de Nancy. Plusieurs vues montrent un sous-bois, mêlant arbres et arbustes et donnant sur le chœur de la Basilique du Sacré Cœur.
Ce parc était particulèrement apprécié par Jane Majorelle comme le souligne Henriette Gallé dans une lettre à son mari Emile Gallé :

« Vu aussi Mme Majorelle. Quelle maison, chéri ! Les détails m'ont échappé mais l'ensemble est d'un recherché ! Joli jardin avec une belle vue sur la côte ; elle tremble qu'on fasse passer des rues avec d'horribles maisons » (5 janvier 1904).

Un manifeste du bon goût et de la modernité

Alors que le chantier est en cours, la revue L’Architecture publie les dessins des façades nord et sud et le plan du rez-de-chaussée. La Villa Majorelle est largement commentée dès la fin de sa construction, dans les revues de l’époque, telles L’Art décoratif. L’article de Frantz Jourdain insiste sur le caractère novateur de l’édifice et les trouvailles du jeune architecte Henri Sauvage, décrivant une maison bien équipée mais simple dans son plan et ses dimensions. Ce texte est relayé localement par La Lorraine Artiste. Ces publications sont illustrées par des photographies d’extérieur présentant les diverses façades et quelques détails architecturaux. Elles témoignent de la renommée de la villa à l’époque puisque certains clichés sont reproduits dans la revue anglaise Academy Architecture en 1902. Très tôt, la villa, avec sa décoration riche et raffinée, est publiée comme un manifeste du bon goût et de la modernité. Sans doute, la notoriété du commanditaire n’y est pas étrangère. Louis Majorelle se sert de sa maison pour promouvoir son propre art décoratif quand il publie les catalogues commerciaux de la Société Majorelle.

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