Un intérieur mis en scène

Située à proximité des Ateliers Majorelle, la villa va vite devenir l’emblème de cette entreprise familiale. Louis Majorelle aménage sa demeure avec les pièces issues de sa production. Les ensembles mobiliers, ornés de motifs naturalistes, sont ainsi associés avec la décoration intérieure développée dans cet édifice, tant dans les thèmes décoratifs, les formes, que dans la gamme colorée.

Les pièces principales sont reproduites dans des vues générales publiées dans les catalogues à destination de sa clientèle ou sur des planches illustrées servant d’outils publicitaires. Ainsi, trois clichés reproduisent le salon de la Villa Majorelle, selon différents angles, décliné autour de la pomme de pin tant dans les sièges que dans la desserte ou le meuble-cheminée.

Les clients pouvaient d’ores et déjà, grâce à ces photographies, imaginer les meubles dans un intérieur dont la décoration, le mobilier et les objets d’art étaient en parfaite harmonie, à l’image de cette maison d’artiste. La Villa était donc plus qu’une habitation, une vitrine de la production et du savoir-faire de la Maison Majorelle.

Un succès de la maison Majorelle : le mobilier "Pommes de Pin"

Le salon propose des petits meubles très appréciés à cette époque, tels les sellettes, les guéridons ou les porte-plantes. Les deux premiers permettaient de déposer divers objets d’art, parfois fonctionnels mais surtout décoratifs ainsi que des lampes électriques. L’École de Nancy s’est, en effet, intéressée à l’éclairage électrique et a conçu les premiers luminaires, s’inspirant de la nature pour développer des formes inédites.

Au cœur du salon, est placé un ensemble de sièges sur le thème de la pomme de pin, comprenant une banquette, deux fauteuils et deux chaises. Fabriqués en série, ces derniers ont connu un certain succès, la garniture textile pouvait proposer deux tonalités ainsi qu’un modèle en bois doré. Sa reproduction dans la Villa Majorelle a été publiée dans les catalogues de cette maison jusqu’en 1913.

Le musée de l’École de Nancy a pu, en 2018, acquérir un ensemble de salon afin de le placer dans la villa rénovée.

Une maison "vivante"

Le musée de l’École de Nancy conserve un album de famille, attribué à Jacques Majorelle, acquis en 2003. Cet album propose diverses photographies de la Villa Majorelle, et en particulier des différentes pièces de réception et de la terrasse. Ces clichés témoignent de l’évolution de ces intérieurs depuis la construction de cet édifice en 1901-1902 puisque ses prises de vue ont été effectuées vers 1905-1911, plusieurs années après les reproductions de la villa dans les catalogues commerciaux de la maison Majorelle.

Elles proposent des vues plus resserrées et attestent d’intérieurs moins figés où les objets d’art, les peintures sont plus présents mais également la nature à travers des bouquets ou des plantes disposés à divers endroits. Elles évoquent plus la vie quotidienne, l’art de vivre de la famille Majorelle, ses membres apparaissant souvent dans ces photographies, de manière isolée ou ensemble.

Salle à manger "Les Blés" modèle riche

La salle à manger propose un décor assez raffiné, avec les peintures sur le thème des animaux de la ferme de Francis Jourdain, les vitraux à décor de coloquintes de Jacques Gruber et l’imposante cheminée en grès de Bigot disposée au centre de la pièce. Cette dernière propose un décor d’épis de blé que l’on retrouve également dans les meubles disposés dans cette pièce.

Composé d’un buffet, de deux dessertes, d’une table et de plusieurs fauteuils, ce mobilier est également reproduit dans les catalogues Majorelle sous l’intitulé « Modèle riche, les blés ». Des épis de blé sont sculptés sur les montants des meubles, en plus ou moins fort relief alors que les poignées en bronze doré reprennent également ce motif naturaliste. Les placages du buffet sont en bois serpent, un bois exotique provenant de Guyane, témoignant du raffinement de ce mobilier qui était sûrement destiné à une clientèle aisée.

Un ensemble unique

Si le mobilier du salon et de la salle à manger a été reproduit dans les catalogues et les planches commerciales, celui de la chambre à coucher destinée à une pièce intime, ne l’a jamais été. Il s’agit, de plus, d’un modèle unique conçu dans un bois clair, du frêne du Japon, avec des placages de frêne, et des incrustations de nacre et de cuivre. Ce décor soigné contraste avec les lignes simples et souples des différents meubles, dominés par les formes courbes.

En 1984, le musée de l’École de Nancy a eu l’opportunité d’acheter le lit, l’armoire, la table de chevet et les deux commodes de cet ensemble que Jacques Majorelle avait souhaité conserver après la vente de la propriété familiale et qu’il avait emmené avec lui au Maroc. Longtemps exposé au musée, il a pu, en 2020, retrouver son emplacement d’origine au premier étage de la villa.

Support de publicité pour d'autres firmes

D’autres firmes ont participé au décor de cette demeure. Ainsi l’on retrouve, à divers endroits, les grès d’Alexandre Bigot qui disposait également de catalogues commerciaux pour vendre sa production. Certains modèles créés par l’architecte Henri Sauvage et produits par cette firme pour la Villa Majorelle sont reproduits dans ces outils publicitaires. La production conçue pour une maison particulière peut donc être, ensuite, proposée à une plus large clientèle et accessible à tous. Dans le catalogue Grès de Bigot daté de 1908, parmi les travaux de la firme "intéressants du point de vue des procédés de décoration et de construction ou de leur importance" figure la mention suivante : "12°. 1902. Hôtel de Majorelle à Nancy (M. SAUVAGE, architecte). Balustrade de perron, frises, cabochons. Cheminée monumentale." Le chantier de la Villa représente donc, pour la firme parisienne, un exemple important de son savoir faire, une vitrine de ses productions digne d’être citée.