Nancy, terre d'accueil des Polonais
Le dépôt de travailleurs étrangers de Toul, 1919-1935
Suite aux pertes humaines causées par la Première Guerre mondiale, la France fait face à un manque de main-d'œuvre important. La Pologne, alliée de la République française, subit également les conséquences de la guerre, avec un chômage de masse qui appauvrit la population.
Une convention « relative à l'émigration et à l'immigration » est signée entre les deux pays le 3 septembre 1919. Elle est suivie d’une loi qui encadre l’envoi de travailleurs par la Pologne et leur accueil par la France.
Passage par la Lorraine
Les Polonais qui souhaitent émigrer favorisent la France, symbole de liberté et de richesse (L'Est républicain, 21 avril et 19 juin 1920) :
La France exerce sur tes imaginations, là-bas, une évidente fascination ; elle apparaît dans une sorte de mirage doré comme une terre de bonheur et de prospérité, comme un Chanaan où les récoltes abondent, ou bien comme la patrie de toutes les libertés.
(...) les Polonais désirent surtout venir en France. Il convient de profiter de cet état d'esprit pour en amener chez nous le plus grand nombre.
La France recrute des travailleurs agricoles et industriels, où le besoin de main-d'œuvre est urgent.
L'afflux d'étudiants est aussi important, au point qu'il se trouve un universitaire, Fortunat Strowski, descendant d'immigrés polonais de la génération précédente, pour suggérer l'installation à Nancy d'un institut franco-polonais, en arguant que « Nancy, bien plus que Paris, semble désignée par la tradition à être le centre de l'activité intellectuelle polonaise en France ». C'est peut-être dans ce cadre que Salomon Fride retourne à Nancy après un séjour de plusieurs années en Allemagne.
Dans un premier temps, les travailleurs sont recrutés en Pologne par le gouvernement polonais, puis par une société privée, et conduits en France en train. Toul est choisie pour accueillir un Dépôt de travailleurs étrangers, où les immigrés doivent se rendre avant d’être envoyés sur leur lieu de travail. Ils y subissent des contrôles d'identité et une visite médicale.
Photographie : Gare de Toul - Archives de Strasbourg
Un séjour obligatoire
Fondé en décembre 1919, le dépôt de Toul est installé dans l’ancienne caserne Thouvenot, en direction d’Ecrouves. Il accueille environ 1200 travailleurs immigrés par mois, qui sont d'abord mis en quarantaine pendant trois jours : chaque arrivant passe une visite médicale, prend une douche, se soumet à un épouillage et voit ses vêtements désinfectés. Ce protocole d'hygiène est justifié par une épidémie de typhus qui sévit en Pologne. La vérification de l'identité est effectuée via les passeports, et un interrogatoire permet de repérer les militants politiques... À la fin de la quarantaine, si tout est en ordre, une carte d’identité est fournie.
La discipline du dépôt est stricte : les travailleurs n’ont pas le droit de sortir en ville, et tout manquement au règlement est sanctionné par un enfermement. Même si une attention est aussi portée à au confort et à l'alimentation, les Polonais souhaitent souvent quitter ce dépôt au plus vite, à la satisfaction de leurs employeurs français (L'Est républicain, 30 mai 1920) :
Photographie : Caserne Thouvenot, Toul, 15ème régiment du génie (poste de garde) - Archives de Strasbourgles travailleurs agricoles polonais désirent abréger le plus possible leur séjour au dépôt, ce désir se concilie parfaitement avec l'intérêt général, car les frais d'hébergement au dépôt sont élevés et il y a intérêt à les réduire au strict minimum.
La durée normale des formalités accompagnant l'arrivée des travailleurs au dépôt de Toul étant de quatre jours, les convois d'ouvriers agricoles peuvent donc quitter le dépôt dès le début du quatrième jour.
Une décennie dans les champs, les mines et les usines françaises
Avant le départ de Toul, les travailleurs reçoivent une carte « Agriculture » ou une carte « Industrie » . Les premiers partent dans les fermes, où ils sont très demandés, et les seconds sont répartis dans les différentes industries minières, métallurgiques et textiles de l'Est et du Nord de la France.
Cette carte est également un outil de suivi des travailleurs polonais : à chaque changement de lieu de travail, la nouvelle adresse doit être indiquée officiellement sur la carte afin de comptabiliser et de connaître leur position. À la fin des années 1920, on recense ainsi environ 700 000 Polonais en France.
Dans les années 1930, la crise économique, la baisse de la production industrielle et des sentiments xénophobes rendent la situation des travailleurs polonais plus difficile. Les grévistes encourent l'expulsion. Le nombre de nouveaux arrivants décroît à la suite d'une loi limitant l'emploi de la main d'œuvre étrangère, votée le 10 août 1932. Le Dépôt de travailleurs étrangers de Toul cesse donc son activité d’accueil en 1935.