La fin de la Première guerre mondiale revêt une signification particulière pour la Moselle, puisque c'est, de fait avant que de droit, en 1918 que cette partie de la Lorraine redevient française. Tranche historique pour certains honteuse, l'annexion est un fait que l'on ne peut nier et qui constitue la région dans son histoire.

Contenu du La Moselle annexée : d’Ems à Versailles (1870-1920) Contenu du La Moselle annexée : d’Ems à Versailles (1870-1920) Contenu du La Moselle annexée : d’Ems à Versailles (1870-1920)

La fin de la Première guerre mondiale revêt une signification particulière pour la Moselle, puisque c'est, de fait avant que de droit, en 1918 que cette partie de la Lorraine redevient française. Tranche historique pour certains honteuse, l'annexion est un fait que l'on ne peut nier et qui constitue la région dans son histoire.

1870-1871 : les causes de l’annexion

La guerre franco-prussienne

Si les causes d'une guerre sont toujours multiples, dont certaines parfois secrètes, on peut dégager pour celle-ci un facteur principal : les tromperies de Bismarck envers la France, qui entraînent l'isolement de cette dernière en Europe. En effet, en révélant les ambitions d'expansion territoriale, notamment vers le Grand-Duché de Luxembourg, de la France au grand jour, Bismarck espère provoquer une guerre, afin de réaliser l'unité allemande autour de la Prusse. Le deuxième traité de Londres en 1867 empêche cela. Mais trois ans plus tard, la déformation de la dépêche d'Ems met le feu aux poudres de l'opinion publique : Napoléon III déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870.
Manque de préparation, nombre de soldats insuffisant, incurie de certains militaires, les causes de la défaite française sont connues. En quelques semaines, la Moselle est perdue, l'Alsace est perdue,  Napoléon III rend les armes à Sedan le 2 septembre 1870, les Prussiens marchent sur Paris, dont le siège dure cinq mois.
L'échec est cuisant et provoque des remous politiques des deux côtés de la frontière.  L'Empire allemand est proclamé à Versailles, la IIIème République se met en place en France, la Commune de Paris est réprimée dans le sang.

L'occupation: l'annexion de fait

L'Alsace-Moselle est annexée de fait avant que de droit le 26 août 1870, quand la Prusse forme le gouvernement générale de l'Alsace et de la Lorraine allemande. Le nouveau territoire est défini. Bismarck charge un haut fonctionnaire allemand, Von Külhwetter, d'établir administrativement le gouvernement de la région afin de préparer l'annexion officielle.  Par voie de presse, on met l'opinion publique dans de bonnes dispositions, en s'appuyant sur l'Histoire et la linguistique ; des fonctionnaires allemands parlant français sont détachés ; on exige des fonctionnaires français une déclaration de loyalisme envers l'occupant allemand. La germanisation commence. Le maintien de l'ordre à Metz est crucial pour les occupants qui ont peur du patriotisme messin. Les agents de police français sont évincés et remplacés par des prussiens, l'effectif augmente significativement. Les autres administrations sont peu ou prou traitées de la même façon.

Le traité de Francfort : l'annexion de droit

Les prétentions territoriales de la Prusse sont discutées entre dirigeants à la fin de l'année 1870 et au début de 1871. Si l'Alsace est non négociable, les territoires lorrains ne sont peut-être pas encore perdus. On sait tout de même que les Allemands étaient sensibles à la richesse minière de la région, qui a sans doute pesé dans la balance. On parle également d'une compensation éventuelle : le Grand-Duché de Luxembourg au lieu de la Lorraine, ce qui sera finalement rejeté.
Le traité de Francfort est signé le 10 mai 1871, et laisse à l'Assemblée Nationale française la responsabilité de choisir de donner à l'Allemagne une partie de la Lorraine ou l'arrondissement de Belfort. C'est Belfort que la France choisit de garder. Si l'intérêt démographique est clair, car cet arrondissement compte davantage d'habitants que les territoires lorrains, Thiers semble mal informé sur l'intérêt minier et sidérurgique de la Lorraine.

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1871-1918 : l'annexion

Mouvements de population

L'Allemagne offre aux populations annexées le droit d’opter jusqu’en 1872 : choisir la nationalité française, et fixer son domicile en France. Dans un cas comme dans l'autre, c'est un déchirement : rester français et quitter sa terre natale, ou rester chez soi mais devenir étranger, allemand. Les émigrés sont nombreux parmi les élites sociales et politiques, et dans les couches populaires. Si les chiffres sont difficiles à établir à cause d'une documentation lacunaire, on compte 20% de Messins qui ont choisi la nationalité française en décembre 1871. Les parts d'optants sont plus réduites dans les campagnes. L'introduction du service militaire obligatoire allemand cause de nombreux départs. Tous les départs ne se font pas en 1871 et 1872, des Lorrains continuent de quitter l'Allemagne pendant deux décennies. Dans un mouvement inverse, des Allemands immigrent en Lorraine annexée. Émigration française ou immigration allemande, les motifs sont souvent politiques mais peuvent être aussi économiques : pour les Français qui partent, il s’agit de manifester son attachement à la France, de s'assurer un avenir meilleur ; pour les Allemands qui arrivent, il s’agit de participer à la germanisation de la région, de trouver un meilleur emploi, notamment dans les mines ou la sidérurgie.

Germanisation administrative et militaire

La germanisation, objectif de long terme, peut se faire au grand jour. Elle commence par la mise en place d'une administration régulière, qui va faire de l'Alsace-Lorraine le Reichsland Elsass Lothringen, partie prenante du nouvel Empire allemand, sans pour autant que la région soit élevée au rang d'État Confédéré, ce qui lui aurait donné trop d'autonomie. La nouvelle région est donc dans un régime d'infériorité constitutionnelle. Les nouveaux fonctionnaires viennent d'Allemagne et les fonctionnaires français encore en poste doivent prêter serment d'obéir aux lois allemandes ; la plupart d'entre eux refusent et partent. Aucun magistrat lorrain ne prête serment.  On remplace les arrondissements par des Kreise allemands. Cependant la législation de l'Empire n'est que partiellement introduite, et certaines lois françaises sont conservées pendant plusieurs décennies, voire jusqu'à la libération, comme le Concordat.  La législation d'Alsace-Moselle est donc pendant l'annexion un mélange de lois françaises et allemandes. Par ailleurs de nombreuses unités militaires s'installent dans la région. La situation de Metz, proche de la frontière franco-allemande, conduit l’Empereur à la transformer en véritable forteresse.

Germanisation linguistique et culturelle

L'allemand est imposé comme langue première : les commerces sont obligés d'installer des enseignes allemandes à partir de 1887. L'arrivée d'Allemands favorise la religion protestante et permet de faire avancer la germanisation, bien que la Lorraine reste majoritairement catholique. Le Kulturkampf fait de l'Église le seul rempart à la germanisation et soude les annexés derrière elle. L'école est un enjeu important pour la germanisation. La langue allemande est imposée à l'école primaire en zone germanophone dès le début de l'annexion. Les postes clés des institutions scolaires sont confiés à des Prussiens protestants. Le but est d'abord d'éliminer à terme le français comme langue scolaire, de favoriser l'enseignement de l'allemand, par les volumes conséquents d'enseignement de la langue et de l'Histoire. Les résultats sont mitigés : si en zone germanophone la reconquête fonctionne, en zone francophone il reste toujours, après deux décennies d'annexion, bien davantage qu'une poignée d'irréductibles. Des polémiques naissent sur le rôle que doit jouer la bibliothèque municipale dans la germanisation : quelle politique d'acquisitions ? On peut saluer le rôle des bibliothécaires, allemands ou français : au-delà des querelles, on continue de fournir le meilleur service aux habitants.

Germanisation urbaine

Il faut germaniser totalement. Le bâti n’est pas en reste, en particulier à Metz où les Allemands réalisent des ouvrages salués encore aujourd'hui. Les efforts de construction, d’amélioration se concentrent sur les ouvrages militaires, avant que la ville puisse considérer son extension sur laquelle l’administration militaire pèse : Metz est une ville-frontière, les considérations stratégiques sont prioritaires. On a besoin de logements, d’une nouvelle gare. Le Kaiser-Wilhelm-Ring, actuelle avenue Foch, montre la diversité des styles architecturaux allemands. Des bâtiments sont détruits, comme la porte Mazelle, car ils rappellent le passé français de la ville, tandis que d’autres sont conservés car ils sont le souvenir du passé germanique de la cité. La structuration urbaine doit montrer l’historicité de la rhénanité de la ville. La gare néo-romane  et ses abords attachent ainsi la ville à son passé médiéval germanique. Le matériau utilisé pour les nouvelles constructions publiques, un grès des Vosges, est choisi pour son contraste avec celui de la vieille ville, construite en pierre de Jaumont. Certains voient dans ces contrastes une modernité bienvenue, d’autres sont blessés par l’imposition des styles allemands. Il y a, comme dans d’autres domaines, deux visages de la ville.

Résistances

La seule force de gestion des populations qui reste intègre en Lorraine annexée, est l'Église catholique qui garde personnel et statut. Les élites ont émigré,  et donc ceux qui restent porteurs de l'identité religieuse catholique, en opposition aux Allemands protestants, sont les ecclésiastiques. Le clergé, notamment dans les campagnes, représente la permanence des valeurs françaises. Des mesures anti-catholiques sont donc prises pour contrer l'esprit de résistance. La mise en allemand du culte et du catéchisme cause de nombreux problèmes et conduit les autorités allemandes à une certaine tolérance.
La résistance se nomme protestation et s'exprime par les urnes. Les députés lorrains se rendent au Reichstag : ils ne reconnaissent pas le traité de Francfort et ne reviendront pas au Reichstag pendant la législature 1874-77. Mais le courant protestataire glisse vers la défense du particularisme lorrain : cesser de contester vainement l'annexion et défendre les intérêts des annexés.
Un Alsacien émigré fonde le Souvenir Français en 1887, association encore en activité aujourd’hui : il s’agit de conserver la mémoire de ceux qui sont morts pour la France. Cette association fonctionne dans toute la France,  même dans les territoires annexés jusqu’à sa dissolution par les Allemands en 1913.

La dictature militaire

Le 31 juillet 1914, Guillaume II place le pouvoir civil dans les mains des militaires qui déclarent l’état de siège : suspension des libertés individuelles, de la liberté de la presse. Environ deux cents personnes suspectées de sympathies françaises sont arrêtées et exilées, notamment dans les milieux de la presse. La germanisation devient féroce : il faut valoriser l’Allemagne et dévaloriser la France à tout prix. L’usage du français en public est considéré comme un acte d’hostilité envers l’Allemagne, les noms de communes sont germanisés, tous les imprimés doivent être en allemand. Les contrevenants sont traînés devant les tribunaux et subissent des sanctions disproportionnées. Les dénonciations se multiplient. L’Église catholique proteste contre cette interdiction du français pour le culte et se fait un peu entendre : des compromis sont trouvés selon que les paroisses sont en majorité de langue française ou allemande. La germanisation de l’école se renforce : la place du français est restreinte. Des hommes politiques portent au Reichstag la protestation contre les excès de la dictature en Alsace-Lorraine, qui sont préjudiciables à la cause allemande et font persister ce qu’ils entendent détruire, à savoir l’esprit français.

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1918-1920 : la Libération

La fin de la guerre

La situation militaire de l’Allemagne se retourne à l’été 1918 : la victoire est impensable. Depuis le début de la guerre, des actions sont menées en France afin d’envisager le retour des provinces perdues dans le giron national, qui est pour les Français une évidence en cas de victoire. Une Conférence d’Alsace-Lorraine est ainsi mise en place dès 1915 et a pour but de proposer des solutions politiques dans le cas d’une réintégration de la région à la France. D’autres initiatives verront également le jour. A l’automne 1918, l’Allemagne envoie à Wilson une demande d'armistice et octroie l’autonomie à la région, c’est-à-dire le statut d’État confédéré. Mais c’est trop tard. Et le point 8 des 14 de Wilson exige la réparation des torts causés à la France par la Prusse en 1871, concernant l’Alsace-Lorraine. Wilson est intraitable. La page allemande se tourne pour la Lorraine et l’Alsace : les Allemands commencent à vendre leurs biens et à quitter la région. La France prépare la transition car le retour au statut départemental n’est pas possible immédiatement. En Lorraine la situation se dégrade pour les Allemands : l’administration civile s’effondre, des officiers sont malmenés, un conseil révolutionnaire est mis en place par quelques agités. En Allemagne, Guillaume II abdique.

Le traité de Versailles

Le 28 juin 1919, date anniversaire de l’attentat de Sarajevo, le traité de Versailles est signé dans la symbolique galerie des glaces du château, là où l’Empire allemand avait été proclamé en 1871. Promulgué en 1920, il restitue par l’article 27 les territoires annexés d’Alsace-Lorraine. Le réarmement de l’Allemagne et ses effectifs militaires sont limités, la rive gauche du Rhin est démilitarisée. L’Allemagne est considérée comme responsable de la guerre et doit payer d’importantes réparations à la France et à la Belgique.
En 1914, le Reichsland Elsass Lothringen fait partie de l’Empire allemand, les populations de souche l’ont globalement accepté. Au niveau économique, les territoires annexés sont bien intégrés ; en ce qui concerne l’assimilation culturelle, c’est plus ambigu : le particularisme lorrain est encore défendu. Le rôle de l’Église catholique est au moins ambivalent. Cependant quatre années de dictature militaire ruinent cette acceptation. La région a vécu près de cinquante ans avec une organisation administrative et politique très différente de celle de la France.  Comment la région est-elle réintégrée dans la République française ?

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À partir de 1920 : des effets persistants

Une réintégration singulière : les traces de l’annexion

L’industrie voit se rompre les liens avec l’Allemagne et la France a des difficultés pour lui  trouver des débouchés. La Moselle ne sera jamais reconstituée dans ses frontières départementales d’avant 1870.  Elle ne revient pas immédiatement aux statuts d’antan : elle dépend de l’Académie scolaire de Strasbourg jusqu’en 1972, la Cour d’Appel de Metz n’est restaurée qu’en 1973. Le régime de couverture sociale établi par le Reich est conservé en Alsace-Moselle. Des changements survenus en France pendant la période d’annexion ne sont pas appliqués : le Concordat persiste. Il n’est pas allemand mais français, signé en 1801 par Napoléon Bonaparte et Pie VII : l'Allemagne ne l’abroge pas, pas plus que la France au retour des territoires annexés dans le giron national. Il est un autre signe, peut-être moins évident : il s’agit des monuments aux morts. En effet la mention “Morts pour la France” n’y est pas inscrite, et pour cause : de nombreux annexés ont combattu pour l’Empire. D’autres détails montrent les précautions prises : sur un célèbre monument aux morts de Metz, le soldat allongé sur les genoux de sa mère est nu, il n’a pas d’uniforme. On ne saura donc pas si le soldat mort est français ou allemand ; dans tous les cas, mort à cause de la guerre...

Sources

La Lorraine annexée, 1871-1918, François ROTH, Editions Serpenoise, Metz, 2011

Metz et Guillaume II, l’architecture publique à Metz au temps de l’Empire allemand (1871-1918), Niels WILCKEN, Editions Serpenoise, Metz, 2013

Metz, l’annexion en héritage, 1871-1918, ouvrage collectif de l’Académie nationale de Metz, Gérard Klopp Éditeur, Mondorf-les-Bains,  2012

La Vie à Metz, les années impériales, 1871-1918, Maxime BUCCIARELLI, Serge Domini Editeur, Ars-sur-Moselle, 2017

Épreuves du temps, 200 ans de la bibliothèque de Metz, 1804-2004, Pierre LOUIS (dir.), Bibliothèques-médiathèques de la Ville de Metz, Metz, 2004