Histoire

Les stéréotypes de genre au XIXe siècle

La définition des concepts du masculin et du féminin remonte à l'Antiquité. Ils se sont théorisés au fil des siècles. Ces stéréotypes sont inculqués dès l'enfance par les images, la littérature, l'éducation et le comportement des pairs. Plus que des repères sociaux, ils perpétuent un système de domination des uns sur les autres dans la loi et dans les rapports entre hommes et femmes.

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La définition des concepts du masculin et du féminin remonte à l'Antiquité. Ils se sont théorisés au fil des siècles. Ces stéréotypes sont inculqués dès l'enfance par les images, la littérature, l'éducation et le comportement des pairs. Plus que des repères sociaux, ils perpétuent un système de domination des uns sur les autres dans la loi et dans les rapports entre hommes et femmes.

De Rousseau aux images d'Epinal

Introduction

Les stéréotypes de genre, existant depuis l’Antiquité (Platon, Timée), font l’objet de nouvelles réflexions sous la plume des savants des Lumières, au XVIIIe siècle. L’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau, L’Émile ou De l’Éducation, publié en 1762, est au cœur des débats sur la place et la définition des femmes et des hommes dans la société. La répartition genrée des rôles, des espaces, des droits et des devoirs s’organise, tandis que triomphe une définition binaire et stéréotypée du féminin et du masculin qui peine à se déconstruire encore aujourd’hui.

Au cours du XIXe siècle, la domination masculine est légitimée et renforcée par l’idée qu’il s’agit d’un état de fait « naturel », un déterminisme biologique immuable. L’éducation, la religion, le cadre familial, les jeux, les lectures enfantines ou encore les images populaires contribuent à inculquer ces concepts dès la petite enfance. Ainsi, les cartiers, comme l’imagerie Pellerin d’Épinal, associés aux colporteurs, ont eu un rôle non négligeable dans la diffusion de ces stéréotypes de genre, par la réalisation et la vente d’images bon marché destinées aux enfants. Certaines d’entre-elles mettent en scène des modèles de petites filles et de petits garçons à suivre.

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Une répartition des espaces et des rôles en société

A chaque genre ses occupations et ses lieux de vie

« Les hommes destinés aux affaires, doivent être élevés en public ; les femmes, au contraire, destinées à la vie intérieure, ne doivent peut-être sortir de la maison paternelle que dans quelques cas rares. […] J.-J. Rousseau […] était fortement pénétré de cette vérité si familière aux peuples anciens, que l’homme et la femme, jouant un rôle entièrement différent dans la nature, ne pouvaient jouer le même rôle dans l’état social, et que l’ordre éternel des choses ne les faisait concourir à un but commun qu’en leur assignant  des places distinctes. », Mirabeau.

Bien que la réalité de la répartition des espaces et des rôles entre les hommes et les femmes soit plus complexe et variable en fonction des époques, des lieux et des classes sociales, les planches d’images populaires à destination des enfants confortent l’idée d’un cloisonnement strict entre ces deux genres. Alors que les filles et les femmes sont une grande partie du temps cantonnées à l’espace privé du foyer, les garçons et les hommes sont maîtres de la rue et des lieux publics.

Les femmes : maîtresses de leur foyer fuyant l'inactivité

Les femmes s’occupent du domicile en y réalisant des tâches ménagères, en cuisinant, en jardinant ou encore en élevant les enfants. Leurs sorties sont généralement le prolongement de leurs activités domestiques (aller à l’épicerie ou au marché, laver le linge au lavoir). Celles qui possèdent un statut social plus élevé peuvent se permettre de sortir dans le cadre de leurs activités mondaines et leurs loisirs ou pour participer à des actions caritatives.

Maîtresses en leur foyer, les femmes dédient leurs préoccupations au bien-être de leur père, puis de leur mari et de leurs enfants. À son mariage, une jeune fille passe de l’autorité de son père à l’autorité de son mari. Sa vie ne peut pas être épanouie sans la présence d’un homme donnant un sens à son existence ! Les filles célibataires éveillent le soupçon car elles sont associées à la débauche ou au délaissement. Pourtant, vers  1900, 30% des filles de 25 à 29 ans ne sont pas mariées.

« De la bonne constitution des mères dépend d’abord celle des enfants ; du soin des femmes dépend la première éducation des hommes ; des femmes dépendent encore leurs mœurs, leurs passions, leurs goûts, leurs plaisirs, leur bonheur même. Ainsi toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes de tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès l’enfance. »,  J.-J. Rousseau, L’Émile, Livre V.

Dans la réalité, les femmes ont toujours travaillé en plus de leurs occupations au domicile familial. Beaucoup d’entre elles étaient des ouvrières, notamment dans le domaine du textile, et elles sont de plus en plus nombreuses à travailler dans les usines mixtes. Que ce soit chez elles ou en tant qu’ouvrières, les femmes travaillent tout le temps. Leur oisiveté, porte ouverte à la décadence, est condamnée socialement.

« Vous ferez quelque travail ou ouvrage de vos mains, afin que le diable vous trouve toujours occupées, et qu’il n’ait pas d’entrée en vos âmes, se servant de votre oisiveté », règle carmélitaine.

Une vie destinée au mariage et à la maternité

Pour éviter l’inactivité, les femmes avaient différents loisirs et passe-temps à exercer selon leur rang social. Les plus aisées pouvaient pratiquer la musique, la peinture, l’équitation, la danse, etc. Cependant, l’activité commune à toutes les femmes, enseignée dès leur enfance,  reste les travaux de l’aiguille (couture, broderie, tricot, dentelle). C’était une activité considérée comme vertueuse, combattant la paresse, mais aussi comme un rite initiatique sexué. En effet, faire la « marquette », c’est-à-dire réaliser un carré de canevas où l’on brode au fil rouge l’alphabet, les chiffres de zéro à neuf et son nom, renvoie aux premières menstruations à la puberté ainsi qu’à la perte de la virginité lors du mariage. Le destin des femmes et la féminité sont donc systématiquement associés à l’impératif du mariage et de la maternité.

« Là où les pauvres trouvent à faire œuvre utile, les dames riches, nobles et belles, gagnent leur honneur », Pellegrin Nicole, 1999.

La sphère publique : le domaine des hommes

Alors que le foyer est l’espace féminin par excellence, le monde extérieur est dédié aux hommes au XIXe siècle. Ce sont eux qui travaillent et rapportent leur salaire au foyer, là où le salaire des femmes actives est considéré comme un simple complément. Ce dernier est par ailleurs accusé d’être une concurrence déloyale face aux hommes, entraînant la diminution de leurs salaires, et il détournerait les femmes de leur « fonction première », c’est-à-dire la maternité.

Les hommes sortent pour travailler, mais aussi pour se retrouver dans des cafés, des estaminets et des sièges de club. La consommation de tabac et d’alcool étant une sorte de rite d’apprentissage pour les jeunes hommes. Les injonctions à la virilité se retrouvent dans les occupations masculines de différentes manières. Les ouvriers et les paysans doivent faire preuve d’un virilisme physique, notamment dans leurs travaux manuels, tandis que les hommes aisés démontrent une virilité intellectuelle et diplomatique. Dans les deux cas, les hommes doivent affirmer leur supériorité de corps et d’esprit vis-à-vis des femmes.

Inégalité de l'accès à l'instruction

L’accès à la scolarisation est également très inégal entre filles et garçons. Si des lois permettent une augmentation importante du nombre d’élèves scolarisés, ce n’est qu’à la fin du siècle qu’elles réduisent véritablement les inégalités d’accès à l’éducation entre les sexes. C’est l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 qui rend l’instruction primaire « obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ».

Cependant, l’enseignement n’est pas uniforme pour tous les enfants. Il faut noter la différence de répartition des disciplines : les filles se concentrent sur les savoirs élémentaires — la lecture, l’écriture et le calcul — et les travaux d’aiguille, tandis que les garçons ont accès à un savoir plus approfondi en science, en philosophie, en histoire, etc. en plus d’un apprentissage militaire. On jugeait les garçons seuls légitimes à entrer dans les études supérieures. En cela, il faut rendre hommage à Julie-Victoire Daubié, née à Bains-les-Bains en 1824, première femme « bachelier » (1861) et référence majeure des premiers essais féministes avec son ouvrage La femme pauvre au XIXe siècle, par une femme pauvre (1866).

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Des caractères et des attitudes «naturellement» opposés mais complémentaires.

L'apprentissage du genre par des modèles

Depuis l’Antiquité déjà, la définition binaire du masculin et du féminin attribue à chacun des caractéristiques opposées mais complémentaires : les hommes seraient chauds et secs, tandis que les femmes seraient froides et humides. Au XIXe siècle, cette complémentarité dans la différence est perpétuée dans les attitudes et les caractères que l’on attend de chaque genre. Performer son genre, c’est une mise en scène de soi conforme aux stéréotypes du féminin et du masculin présents dans tous les aspects de la société. Dans les images populaires, la transmission des stéréotypes genrés passe par la représentation de jeunes filles et de jeunes garçons auxquels s’identifient les enfants. Ces personnages fictifs deviennent des modèles ou, au contraire, des contre-exemples qui donnent à voir à l’enfant-lecteur ce que l’on attend de lui en société : comment être un bon petit garçon ou une bonne petite fille.

Être un "vrai homme"

Virilité physique et héroïque.

Pour être un vrai homme, le petit garçon apprend qu’il doit faire preuve de courage, de force, de loyauté et d’honneur. C’est pourquoi on représente généralement l’homme comme un héros, un sauveur, notamment de jeunes filles en détresse, voire en tant que libérateur de la nation dans une perspective patriotique guerrière. Par exemple, l’image du poilu apparaît dès les guerres napoléoniennes du début du XIXe siècle pour désigner le soldat courageux et viril. Le caractère du garçon est considéré comme naturellement agressif, impulsif, audacieux, insouciant et ambitieux. Ce sont des caractéristiques que l’on retrouve aussi dans les figures morales chrétiennes, notamment dans la parabole du Fils prodigue (Luc, 15:11-32). Le jeune garçon doit être indépendant, débrouillard, fier et compétiteur pour réussir en société et être légitime auprès de ses pairs.

Virilité disciplinée et courtoise.

Cette virilité physique et impulsive attribuée au masculin doit être canalisée pour y associer une virilité disciplinée. Celle-ci pouvait-être inculquée par une éducation violente, appelée « pédoplégie », passant par des punitions physiques plus ou moins lourdes (main, martinet, férule, verges, mise en cellule, etc.) dans le cadre familial et scolaire. Cette méthode est critiquée et dénoncée par des médecins hygiénistes et des éducateurs dès 1820 (Pavet de Courteille, Simon de Metz). L’instruction de la « morale virile » (Sylvain Venayre, 2002) et intellectuelle se fait aussi par la lecture de récits d’aventure comme les histoires de Jules Verne, Gabriel Ferry et Paul Belloni Du Chaillu. De même, l’école républicaine laïque ou l’école confessionnelle contribuent à l’éducation intellectuelle des jeunes garçons. Une virilité masculine accomplie exige également de savoir dominer son impétuosité naturelle par la délicatesse et la galanterie envers les femmes, ainsi que la diplomatie et le self-control issu des modèles britanniques. Un homme authentique sait civiliser ses mœurs et faire preuve de sagesse pour ensuite devenir lui-même un modèle de masculinité.

Être une épouse aimante et une bonne mère

Féminité dans la douceur maternelle, la modération et le respect des mœurs.

Le caractère des femmes, lui, serait « naturellement » opposé et complémentaire à celui des hommes. Cette conception vise à justifier, avec des arguments biologiques infondés, la domination des seconds sur les premières. Comme le souligne Rousseau, le féminin dépend du masculin. Les femmes et les jeunes filles doivent être un soutien moral et émotionnel pour leur père et leur mari. Le concept d’« instinct maternel » associe à la féminité un tempérament nécessairement doux, calme, patient et attentionné. Alors que les jeunes garçons sont encouragés à devenir indépendant affectueusement et personnellement, les jeunes filles sont élevées de façon à leur transmettre l’importance des émotions et des liens familiaux. On leur inculque l’idée qu’elles doivent s’effacer pour se dévouer à leur père, leur mari et leurs enfants. Les femmes font don d’elles-mêmes pour le bon fonctionnement de leur foyer et le bien-être de leurs proches. La religion catholique renforce implicitement cette préoccupation pour le bien-être de l'homme puisqu’il a été la première créature façonnée à l’image de Dieu, ce qui n’est pas le cas de la femme.

Belle et pieuse

À l’inverse du caractère impulsif et téméraire associé à la masculinité, la féminité se caractérise par la vertu, la chasteté et la modération en toute chose. Les femmes doivent contrôler leur comportement par décence, pudeur, discrétion et bienséance. En d’autre terme, elles doivent savoir où est leur place et elles doivent s’y tenir. Elles sont aussi liées au superficiel. On exige d’elles qu’elles prennent soin d’elles, qu’elles soient toujours belles pour plaire à leur mari ou pour être un bon parti matrimonial. Un autre impératif que la société de l’époque attend du caractère féminin est la religiosité. Les femmes doivent être pieuses, plus que leur mari. En effet, à partir de la Révolution française, la pratique religieuse s’effondre de plus en plus chez les hommes, alors que les femmes sont davantage présentes aux offices et aux fêtes catholiques. Elles portent la responsabilité du respect du culte pour leur foyer.

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Et aujourd'hui...

Conclusion

Les stéréotypes de genre calqués sur les concepts du masculin et du féminin ont aujourd’hui évolué, notamment depuis les luttes féministes du XXe siècle et grâce à la révolution des sexualités et des identités de genre à partir des années 1960-70. Cependant, les avancées législatives et sociales concernant les droits des femmes et des minorités ne doivent pas faire oublier que la domination masculine est toujours présente et légitimée, avec la permanence du système patriarcal occidental lié aux enjeux capitalistes. Elle continue d’imposer son autorité sur les femmes, mais aussi sur les hommes à travers les injonctions sociales, plus ou moins conscientes, à correspondre à une virilité toxique qu’il est plus qu’urgent de déconstruire. De même, les minorités de genre, de couleur, de classe, de religion et de sexualité souffrent également de ce système hiérarchisant les individus selon une norme privilégiée.

Le concept binaire du féminin et du masculin s’est construit au fil des siècles pour servir ces structures de domination des uns sur les autres. La définition stricte qu’en a fait le XIXe siècle est loin de représenter la réalité des individualités et des multiples expressions de genre formant la diversité humaine. Les concepts ne sont pas fixes, ils changent avec le déroulement de l’histoire et les évolutions sociales.

 

Sources :

- Beauvalet-Boutouyrie, Scarlett , Berthiaud, Emmanuelle, Le rose et le bleu. La fabrique du féminin et du masculin, Paris, Belin, 2016, 378 p.
- Corbin, Alain , Courtine, Jean-Jacques ; Vigarello, Georges, Histoire de la virilité, Tome 2. Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle, Paris, Seuil, 2011, 493 p.
- Duby, Georges et Perrot, Michelle (dir.), Histoire des femmes en Occident, Tome 4. Le XIXe siècle, Paris, Plon, 1991, 627 p.
- Garcia, Patrick , Leduc, Jean, L’enseignement de l’histoire en France de l’Ancien Régime à nos jours, Paris, Armand Colin, 2003, 219 p.
- Mayeur, Françoise, De la Révolution à l’école républicaine, tome 3 de l’Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France dirigée par Parias Louis-Henri, Paris, G.-V. Labat, 1981, 683 p.
- Mayeur, Françoise, L'éducation des filles en France au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2008, 373 p.
- Pellegrin, Nicole, « Les vertus de l’‘‘ouvrage’’. Recherche sur la féminisation des travaux d’aiguille (XVIe-XVIIIe siècles) », Revue d’Histoire moderne et Contemporaine, n°46-4, octobre-décembre 1999, p. 747-769.
- Venayre, Sylvain, La Gloire de l'aventure : genèse d'une mystique moderne : 1850-1940, Paris, Aubier-Montaigne, 2002, 352 p.