Partisan de l’unité de l’art, Victor Prouvé voulait supprimer la barrière entre beaux-arts et arts décoratifs.

Contenu du Victor Prouvé

Partisan de l’unité de l’art, Victor Prouvé voulait supprimer la barrière entre beaux-arts et arts décoratifs.

Introduction

Victor Prouvé est né le 13 août 1858 à Nancy.

Fils d’un dessinateur en broderie et d’une lingère, il intègre en 1977 l’école des Beaux-Arts de Paris où, boursier, il est admis dans l’atelier d’Alexandre Cabanel. Au départ peintre et dessinateur, il travaille également le bronze, le cuir, le bois… Il participe à plusieurs salons dès 1882 et obtient plusieurs prix. En 1895 il est décoré de la légion d’honneur et est élevé au grade de commandeur. En 1901 il revient à Nancy et participe à la création de l’Ecole de Nancy, dont il prend la présidence à la mort d’Emile Gallé en 1904. De 1919 à 1940 il dirige l’école des Beaux-Arts de Nancy. Il décède le 15 février 1943 à Sétif en Algérie.

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La Peinture

Victor Prouvé est surtout connu pour ses peintures.

Il se fait remarquer comme portraitiste. Une de ses plus grandes réalisations est sans doute le portrait d’Emile Gallé (1892) exposé au musée de l’Ecole de Nancy, qui est avec la Villa Majorelle un des emblèmes du mouvement éponyme. 
Il se fait connaître ensuite comme peintre décorateur. Ses thèmes de prédilection sont la famille, le travail et le cycle de la nature. Ce dernier thème l’a d’ailleurs inspiré pour son huile sur toile marouflée La Vie (1896). Elle est exposée dans l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville d’Issy-les-Moulineaux (92), et a été restaurée fin 2019. Elle représente la vie familiale, les valeurs républicaines et la vie ouvrière, dans le contexte de la politique artistique de la IIIe République, où l'on souhaitait mettre l’art à la portée de tous. 

Les œuvres littéraires se retrouvent aussi dans ses tableaux comme Les Voluptueux (1889) dont le premier titre était Le Deuxième cercle influencé par La Porte de l’Enfer (1880-1917) d’Auguste Rodin et tous les deux inspirés de La Divine Comédie (1472) de Dante.

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L'île heureuse

L’Île heureuse est une autre de ses œuvres inspirées de la littérature : L’Invitation au voyage (1857) de Charles Baudelaire. Réalisée en 1902, elle a été achetée par M. Eugène Corbin. Ce dernier se procurait méthodiquement les grandes œuvres des artistes lorrains ; sa collection constitue le premier fonds du musée de l’Ecole de Nancy, installé dans sa demeure. Aujourd’hui cette œuvre peut être admirée au musée des Beaux-Arts de Nancy.

« Ici tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »

Voici ce que l’on peut lire sur le cadre réalisé par Eugène Vallin. Il s’agit du vers principal de l’œuvre de Baudelaire et qui résume parfaitement ce tableau.
Chaque élément est une allégorie, le paysage représente la vie calme et sereine, les couleurs accentuent cette impression et nous emmènent hors du temps. La ville au fond et les deux femmes debout sont baignées de lumière. En plus de leur position, leur nudité tranche avec les autres personnages. On peut aussi observer à droite la statue de Rodin Le Baiser (1889) évoquant l’amour. La culture est représentée par la violoncelliste et par la femme à gauche qui semble vouloir partager les connaissances de son livre. C’est une œuvre à la vision optimiste de la condition humaine, une recherche d’harmonie.

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Le dessin et la gravure

Victor Prouvé a voyagé plusieurs fois en Tunisie.

Il est revenu avec de nombreuses études et croquis.
Certains sont des dessins complets et ont pu servir à la réalisation d’eau-forte. L'impression à l'eau-forte est un dessin gravé par la morsure de l'acide des parties non protégées par un verni d'une plaque de métal. Elle est ensuite encrée et placée dans une presse où le dessin viendra s'imprimer sur une feuille.

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Un marchand de poterie

Ses dessins de l’étranger ne sont pas surréalistes mais plutôt éthnologiques. Ici Boutique de potier à Tunis (1895) est une observation du quotidien, comme un carnet de voyage. Il nous fait rêver par l’exotisme du lieu.

Nous sommes dans un souk, dans la médina de Tunis (quartier commerçant au centre de la ville). Dans ces marchés les commerçants exposent leurs produits à l’extérieur. Ici des amphores, utilisées pour conserver l’huile d’olive, et des grandes bassines de bois pour travailler le couscous. 
Une femme en haïk (tissu écru ou rayé) examine un pot. Haïk est le nom maghrébin du niquab, l’appellation varie selon les différents pays musulmans. On peut observer une ombre au niveau du mollet, à moins que ce ne soit ses cheveux ? Cette génération les portaient très long, jusqu’aux genoux.

Il a également réalisé des paysages du sud de la Tunisie. On peut ainsi observer le soleil se coucher sur le quartier de El Menzel, au sud ouest de la ville de Gabès, depuis la rive opposée. Une vue sur Douiret près de Tataouine, ou encore la prière du soir dans la mosquée de cette même ville.
Ces dessins sont accompagnés de notes de voyage, dont une partie a été publiée dans la revue "La Lorraine artiste", dans les numéros 23 et 24 de 1890.

Comme d’autres artistes de cette époque, Victor Prouvé a également été inspiré par le Japon. Et de même que pour la Tunisie, il a fait le choix de dessiner des scènes du quotidien. Mais peut-être que ce pays trop loin et trop différent lui donne l’impression de partir dans un monde imaginaire ? Sinon pourquoi nommer son dessin Fantaisie japonaise ?

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La sculpture de pierre

Le 5 janvier 1477 s’achevait la bataille de Nancy.

Où périt Charles le Téméraire vaincu par le duc René II de Lorraine. Son corps fut retrouvé le 10 janvier, au bord de l’étang de Saint-Jean. René II y dressa une première croix de Lorraine à cet emplacement. Plusieurs croix se succédèrent. Par la suite l’étang fut asséché et la place de la Croix de Bourgogne construite. Il y eut quatre croix avant celle actuellement en place.

En 1893 la ville de Nancy organise un concours pour remplacer cette quatrième croix. Il sera remporté par Victor Prouvé et Camille Martin. Hélas les fonds n’étant pas suffisants pour sa réalisation, il faudra attendre le 1er novembre 1928 pour enfin assister à son inauguration

Cependant après trente-cinq ans d’attente, ainsi que le décès de Camille Martin en 1898, le projet initial a complètement changé. A l’origine, c’était une Croix de Lorraine en pierre, entourée d’un bassin rappelant l’étang Saint-Jean. Au pied de la croix incrustée dans la pierre on devait y trouver des casques, cuirasses, armes, bouclier et le corps sans vie du duc de Bourgogne. Certains y ont vu une représentation choquante et humiliante pour la Bourgogne, d’autres y trouvent cette idée « Ce n’est pas leur faute si la guerre, en somme, est une chose horrible et si la Victoire à les pieds dans le sang. […]  Être vaincu n’est point une honte ». Il faut ajouter que ce monument a une dimension funéraire en marquant l’emplacement où le corps du duc fut retrouvé.

En 1895, Prouvé et Martin réaliseront un second projet pour la place de la Croix de Bourgogne. Cette fois on y trouvait René II en armure sur son cheval, brandissant triomphalement la Croix de Lorraine. Sur le socle étaient taillés les écus de la Lorraine et de la Bourgogne, sur les côtés ceux des combattants des deux camps. Les étendards sont posés ensemble, symbolisant la fin de la lutte. 

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Monument de la Bataille de Nancy 1477

Le monument finalement construit prend l’aspect d’un obélisque décoré de mosaïques. Sur la face est, on y découvre René II avec le blason du duché, soulevant la croix de Lorraine. Sur la base on peut y lire : « Bataille de Nancy, 5 janvier 1477, ici la victoire de René II assura l’indépendance de la Lorraine et fixa les destinées de la France ». Face ouest on y voit le blason de Charles le Téméraire ainsi que l'ancienne inscription : « En l'an de l'incarnation mil quatre cens septante-six veille de l'apparition fut le duc de Bourgogne occis et en bataille icy transis ou croix suis mise pour mémoire René duc des Lorrains merrcy rendant a dieu pour la victoire ». Les deux autres faces nous exposent : côté nord le blason de Lorraine et l'inscription « Vive Lorraine », côté sud le blason de Bourgogne et l'inscription « Vive Bourgogne ».  

Dans ces trois projets on y retrouve toujours l’idée de symboliser les deux factions. Mais aussi de l’obtention d’une paix durable, où les vaincus ne sont pas rabaissés. Ce sont des visions pacifiées et républicaines de l’histoire de France.

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La sculpture en bronze

Le bronze est un alliage de cuivre et d’étain auxquels peuvent s’ajouter d’autres métaux.

Il est utilisé depuis l’âge qui porte son nom, soit de 3 000 à 1 000 avant notre ère.
Il y a peu de techniques pour concevoir des bronzes, elles n’ont pas changé depuis l’Antiquité. L’une d’elle consiste à travailler de la cire pour lui donner la forme souhaitée, puis on la recouvre d’un mélange d’argile. On fait ensuite cuire le tout, la cire fond alors, ne laissant plus qu’une coquille qu’on remplit de bronze. Une fois celui-ci durcit, on brise le moule pour dévoiler la sculpture. L’objet façonné est unique puisque son moule est perdu.

Victor Prouvé a ainsi réalisé une coupe La Nuit (1894). On y voit le visage d’une femme, les yeux fermés, de chaque côté du visage montent deux tiges de pavot, une plante soporifique. Sa chevelure qui s’envole au vent forme la vasque, elle est parsemée d’étoiles, d’une lune, d’un hibou et de chauves-souris. La base elle, est composée de différents corps humains.

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La nuit

Il y a deux niveaux de lecture. Sur la partie supérieure, le visage illustre le calme et la sérénité, alors que la partie inférieure est dans le tourment. Ces deux parties sont réunies par le pavot. La chevelure souligne le temps qui passe et donc la succession du jour et de la nuit. Invisible ici, le revers du visage est tout son contraire : horrible et grimaçant.
Si le haut et le bas s’opposent, les côtés aussi par le rêve et le cauchemar. Ainsi d’un côté on y trouve de l’amour et du calme : un couple enlacé, une femme endormie. Tandis que de l’autre ce ne sont que douleur et tourment : une femme poignardée, une autre squelettique tentant d’allaiter son enfant, un charnier tapisse le sol, un homme se tient à l’arrière exprimant la douleur et le désespoir. Ce personnage ne nous rappelle-t-il pas Le Cri (1893) de Munch et Le Désespéré (1845) de Courbet ?
Comme pour Les Voluptueux, La Nuit nous évoque l’Enfer de Dante, mais surtout différents poèmes de Baudelaire tels que Recueillement (1868) et Crépuscule du matin (1857). Enfin cette sculpture peut aussi nous faire allusion à une autre école de Nancy où les docteurs Liébault et Bernheim étudiaient l’hypnose puis la psychothérapie. Sigmund Freud les rencontra et en élabora sa théorie psychanalytique.

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Le textile

Par l’influence de ses parents Victor Prouvé a travaillé le textile.

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Robe d'apparat brodée

Sa plus grande œuvre est Bord de rivière au printemps (1900) réalisée avec la maison de broderie de Fernand Courteix, nancéen ayant fondé sa manufacture à Paris. La robe fut présentée officiellement lors du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1901.Cette robe de soirée est en soie, mousseline, perles et fils métalliques, bien que magnifique elle n’a jamais été portée. Elle est sans manche, la taille marquée, et possède une longue traîne. Les motifs brodés rappellent l’Art Nouveau. Des nénuphars, iris et autres plantes viennent former ce bassin visité par des libellules. Les broderies en verts habillent ce fond écru. 

Par cette œuvre, Prouvé a voulu montrer un art total en alliant la broderie, qui connaît un nouvel essor, et l’Art Nouveau, dont il est un des pionniers. Il montre son talent, et sa capacité à créer d'autres œuvres artistiques en dehors de la peinture.
Cette œuvre a été restaurée en 1999 par le Musée historique des tissus de Lyon pour l'exposition des galeries Poirel. Avec le temps, la corrosion s’était développée dans les fils métalliques pris dans la soie. 

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La reliure

Dire que Prouvé s’inspirait de la littérature pour ses œuvres est flagrant par cette œuvre.

Elle a sucité aussi bien l’admiration que l’indignation. Cette reliure datant de 1893 a été réalisée pour Salammbô (1862) de Gustave Flaubert. Elle est le fruit de la collaboration entre Victor Prouvé, Camille Martin et René Wiener.

Cette reliure de 42 sur 43 cm est l'aboutissement de plusieurs années de recherche. De nombreuses techniques s’y mêlent pour créer ce fabuleux décor. On y découvre ainsi une mosaïque de cuir incisée et dorée, les contours sont faits à la pyrogravure, des métaux et des émaux marquent notamment les coins.
En plus de ces techniques, la reliure se distingue par son décor qui ne fait qu’un entre les plats et le dos. La couverture représente à droite Salammbô et son python, au centre la déesse Tanit et à gauche le dieu Moloch. Ils sont reliés par le « zaïmph », le voile de la déesse. On peut aussi y trouver des décors égyptiens comme dans le temple maçonnique de Nancy.
 

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