1870, l’été des batailles

Cartes

1870, l’été des batailles

L’année 2020 marque le 150e anniversaire de la guerre franco-allemande de 1870. Les principaux épisodes de ce conflit furent illustrés par les imagiers populaires mosellans et alsaciens.

Bombardement de Thionville : novembre 1870

De par sa position stratégique, Thionville est certainement la ville française qui a connu  le plus grand nombre de sièges (1558, 1639, 1643, 1792, 1814, 1815, 1944). Après la capitulation de Metz, survenue le 28 octobre 1870, l’état-major allemand déplace vers Thionville une partie de ses troupes. Le 22 novembre, les assiégeants ouvrent le bombardement avec 85 pièces d'artillerie. De nombreux bâtiments furent détruits ou endommagés et la population souffrit à un point tel que la ville capitula deux jours plus tard. Cette estampe de l’imprimerie Didion restitue à merveille l’intensité des combats.

Charge de cuirassiers à Reischoffen [Reichshoffen] : 6 août 1870

Nous sommes le 6 août 1870. Depuis quelques semaines, c’est la guerre. La France et les États allemands, réunis sous l’égide prussienne, ont commencé à s’affronter.
Voici des villages alsaciens, au milieu d’une campagne verdoyante : Froeschwiller, Woerth, Reichshoffen, Morsbronn. Deux armées vont s’y livrer une bataille meurtrière, à la charnière de l’histoire de la guerre. Des combats qui annoncent le déclin de la cavalerie et l’avènement des armements industriels à haut pouvoir de destruction.
Des combats qui furent un massacre, une hécatombe, un carnage : la charge des 8e et 9e  régiments de cuirassiers (épaulée par deux escadrons du 6e régiment de lanciers) tourna au désastre pour l’armée française. Une boucherie qui engloutit la vie de milliers d’hommes valeureux en quelques heures.
L’image de Metz qui illustre cette charge n’élude pas la violence de l’affrontement, mais le texte omet d’évoquer les erreurs stratégiques de Mac-Mahon et l’absurdité tragique du sacrifice de soldats souvent aguerris.
L’homme chevaleresque, lourdement armé et monté sur un de ses animaux domestiqués les plus fidèles, avec lequel il avait parcouru l’histoire, était balayé du théâtre de la guerre par la puissance des nouvelles armes à feu.
Peut-on comprendre, aujourd’hui, la charge des cuirassiers à Reichshoffen ? Au temps des guerres asymétriques, des cyberattaques, des drones de combats ? Depuis longtemps déjà on ne fait plus la guerre à cheval, et la guerre post-industrielle se passe maintenant directement dans les cerveaux humains…

Bataille de Spikeren [Spicheren] : 6 août 1870

Très peu connue du grand public, la bataille qui se déroula dans le village de Spicheren (ici orthographié « Spikeren ») près de Forbach le 6 août 1870, fut pourtant particulièrement effroyable, la plupart des combats se déroulant au corps à corps et à l’arme blanche dans les forêts entourant la localité.
Le jardin franco-allemand de Sarrebruck abrite un mémorial dédié aux morts des deux armées, ainsi que la tombe de Katharine Weissberger, une habitante de la cité sarroise qui fit preuve à cette occasion d’un grand dévouement, au mépris du danger, en portant secours aux blessés des deux camps sans distinction de nationalité.

Schlacht bei Sedan am 1. September 1870

Sedan scelle la défaite française face à la Prusse, et la chute du pouvoir napoléonien. Du coup d’Etat du 2 décembre 1851 à l’effondrement militaire du 2 septembre 1871, le Second Empire semble renouer avec la malédiction finale qui toucha Napoléon 1er, ses ambitions et ses conquêtes.
Du côté prussien, c’est le roi en personne qui dirigea ses troupes face à un Napoléon III qui eût voulu mourir au milieu de ses soldats. Mais c’est la captivité, puis l’exil qui attendent le dernier des Bonaparte à diriger la France. La bataille de Sedan fut aussi la dernière de l’Histoire au cours de laquelle un monarque français combattit sur le théâtre même des opérations. Au final, la stratégie et la puissance de feu prussiennes eurent raison des vaillants soldats français, souvent prêts à tous les sacrifices et capables des actions les plus héroïques.
Sur cette image parue à Wissembourg, après l’annexion de l’Alsace-Moselle, on assiste à la bataille du côté prussien, où se déploie la puissance de feu de l’artillerie. Le texte précise toutefois que les soldats des deux camps firent preuve d’une grande bravoure.

Schlacht bei Gravelotte : 18. August 1870

Cette image en allemand, que nous devons à l’imprimeur C. Burckart de Wissembourg en Alsace, est en quelque sorte le pendant de celle publiée par Didion à Metz. Avec une rigueur toute prussienne, le Kaiser Guillaume Ier, apparait sur son cheval à la tête de ses troupes et semble montrer une confiance certaine quant au résultat d’une bataille qui ne lui fut pourtant, nous le savons, guère favorable.
Le champ de bataille de Gravelotte n’était pas prévu dans le traité d’annexion de l’Alsace-Moselle en 1871. Mais l’empereur germanique fut tellement marqué par le sacrifice de ses hommes et notamment de sa garde personnelle qu’il demanda l’annexion des champs de bataille autour de Metz, en échange de la place de Belfort qui demeura française.

Bataille de Gravelotte : 16 août 1870

« Ça tombe comme à Gravelotte ! » : cette expression populaire pour qualifier une pluie intense, fait référence à la bataille de la guerre franco-allemande qui eut lieu dans cette commune de Moselle le 18 août 1870. La densité des tirs de fusils et de canon et le nombre de tués et de blessés dans ces combats, que certains historiens considèrent comme les plus meurtriers du XIXe siècle, en sont sans doute à l’origine. Cette demi-victoire française ne sera pas exploitée et l’armée de Napoléon III choisit d’abandonner le terrain pour se réfugier derrière les remparts de Metz.
Bien qu’elle comporte une légende en français, l’image publiée par l’imprimeur messin Didion (avant 1879) place les troupes prussiennes au premier plan. Faut-il y voir une conséquence de l’annexion de la ville ? À noter que l’image donne une date erronée pour la bataille (le 16 au lieu du 18 août), cette date correspondant en fait au début des opérations militaires autour de Metz.

Bataille de Borny : 14 août 1870

La bataille de Borny constitue le premier accrochage sérieux entre les armées prussiennes et françaises aux portes de Metz. Elle mit aux prises la première armée prussienne et le IIIe corps impérial. Les combats furent particulièrement meurtriers autour de la ferme de Colombey, où se trouvent aujourd’hui plusieurs monuments commémoratifs allemands. L’image nous montre la violence de l’engagement des combats dans un tumulte d’hommes, de feu et de fumée.  
D’un point de vue défensif, l’issue de cette bataille fut favorable aux Français. Mais quand on envisage la suite des événements, c’est finalement les Prussiens qui profitèrent de la situation malgré les lourdes pertes qu’ils subirent. En réussissant à stabiliser leurs troupes aux abords de Metz, ils purent repartir rapidement à l’assaut de manière organisée.

Schlacht bei St. Privat am 18. August 1870

Cette image de l’imprimeur C. Burchardt (Wissembourg) est assez originale dans le sens où les troupes impliquées françaises et allemandes sont représentées sur un pied d’égalité, respectivement à gauche et à droite de la gravure. Originale également l’utilisation de la profondeur qui accentue le réalisme de la représentation.

Metz : ambulance de l'esplanade

Au soir du 18 août 1870, le maréchal Bazaine ne tirant pas profit de son relatif avantage décide de battre en retraite et de se retrancher à l’abri des fortifications de la place forte de Metz. Les troupes françaises, qui comptent pas moins de 20 000 blessés, sont alors assiégées par l’armée allemande. Un hôpital de campagne est improvisé dans les jardins de l’Esplanade où les « bonnes dames de Metz » font preuve d’un incroyable dévouement pour secourir ces malheureux. C’est cet épisode resté célèbre qu’illustre une lithographie de Paulin Didion (avant 1879). En arrière-plan, la statue du maréchal Ney, qui évoque les heures glorieuses du Ier Empire, a-t-elle contribué à soutenir leur moral ?

Le « Hulan » et la paysanne

Les batailles sont parfois suivies d’épisodes singuliers. Il en va ainsi de l’anecdote illustrée par cette image. Malgré le contexte, l’histoire racontée est ambivalente, jusque dans les paroles attribuées au « gaillard prussien ». D’un côté, un ennemi brutal qui sort son couteau devant une paysanne sans défense. De l’autre, une Lorraine qui vaque à ses tâches quotidiennes, et soudain saisie d’épouvante face à un agresseur armé. Mais en fin de compte, un soldat bourru et pressé qui repart avec un demi-savon, et trouve quelque bonne parole à l’intention de la paysanne. Cette anecdote vient rappeler que pendant une guerre, c’est le vainqueur qui fait la loi lorsqu’il veut obtenir ce qu’il désire. Ne serait-ce que pour un morceau de savon. La paysanne en sera pour son effroi, cette image montrant l’agresseur non comme une brute, mais comme la puissance symbolique de l’occupant qui s’attribue le droit de s’emparer de ce dont il a besoin.

 

Bataille de Saint-Privat : 18 août 1870

L’imagier messin Paulin Didion choisit de nous montrer ici la bataille de Saint-Privat qui ne fut qu’un épisode de ce que l’on appelle plus généralement la bataille de Gravelotte. Saint-Privat est resté dans les mémoires en raison du sacrifice des derniers défenseurs français qui, submergés par le nombre, dans un village en feu où presque toutes les maisons étaient détruites, choisirent le cimetière pour former un dernier carré et mourir l’arme à la main. Cet épisode inspira le peintre Alphonse de Neuville dans son célèbre tableau de 1881. Les officiers, à la tête de leurs troupes, occupent le premier plan.

Nompatelize, près de Saint-Dié (Vosges), Maison des dernières cartouches (6 octobre 1870)

La dernière ou les dernières cartouches, c’est l’esprit français de résistance qui est à l’œuvre. Ce n’est plus le régime impérial qu’on défend, c’est son pays envahi par l’ennemi. On se bat par patriotisme fervent, par refus de se rendre sans avoir épuisé toutes les possibilités, jusqu’à la dernière. Car une seule cartouche peut encore faire la différence, même s’il n’en reste plus après. Si ces combats acharnés n’ont pas pu sauver la France du désastre, ils participèrent de l’esprit héroïque et alimentèrent le souvenir d’une résistance indéfectible…
Une autre maison de la dernière cartouche est plus connue. Elle se trouve à Bazeilles, près de Sedan. C’est dans ce bâtiment que s’illustrèrent des marsouins de la célèbre Division bleue sous les ordres du chef de bataillon Lambert. Cet épisode inspira au peintre Alphonse-Marie-Adolphe de Neuville un de ses plus beaux tableaux de guerre, Les dernières cartouches.

Bataille de Sainte-Barbe : 31 août 1870

Avec la guerre de 1870,  les conflits armés entrent dans une phase plus meurtrière et destructrice. L’armement a fait un saut technologique considérable depuis les campagnes napoléoniennes (1803-1815).
Aussi les batailles deviennent-elles de véritables hécatombes. La Bataille de Sainte-Barbe représentée sur cette image donne à voir toute la violence physique des combats. Deux armées se font face, presqu’à bout portant, avec des armes à haut pouvoir de mort. Tout fait rage, tout est fracas, et tout annonce le carnage. Ici, il n’est plus question d’héroïsme, mais de massacre.
Les canons vomissant le feu, les maisons incendiées, à moitié démolies, et jusqu’au clocher de l’église endommagé, attestent du caractère impitoyable des combats qui eurent lieu à Sainte-Barbe et dans les villages voisins, Servigny, Montoy, Noisseville. C’est d’ailleurs dans ce dernier village, au lieu-dit « L’Amitié » , que se trouve le Monument du Souvenir français en hommage aux soldats français ainsi qu’aux Dames de Metz. Un monument prussien se trouve à proximité.

 

Gruss aus Gaudach (Jouy-aux-Arches) Episode aus dem Krieg von 1870 in Gaudach

Cette carte postale retouchée illustre d’une manière tout-à-fait singulière un épisode de la Guerre de 1870, à Jouy-aux-Arches précisément.

La mise en scène est assez soignée, et peut susciter quelques interrogations. Un soldat français, entouré de militaires prussiens, embrasse sa femme sous les yeux rieurs d’hommes habillés de blanc. Un Prussien coiffé de son casque à pointe tient dans ses bras l’enfant du couple. Le soldat français va manifestement être emmené en captivité. Est-ce l’attitude des époux qui semble amuser les hommes en arrière-plan, ou bien le sort qui les attend ? Ou encore le Prussien qui essaie de bercer le bébé ? Sur cette image, les Prussiens ne font pourtant pas figure de joyeux drilles. Cette scène d’adieu peut donc laisser perplexe tant le décalage entre les différents personnages paraît considérable dans de telles circonstances. Seule dans cet environnement masculin, la femme se distingue par l’étreinte qu’elle accorde à son mari, avant une séparation à l’issue incertaine.

La prise de Saarbruck

Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Quelques jours auparavant, Bismarck a habilement réussi à enflammer les sentiments nationalistes dans les deux camps. La « Dépêche d’Ems », agitée comme un chiffon rouge, déclenche un engrenage fatal. Après deux semaines d’hésitation et d’observation, Napoléon III ouvre les hostilités en entrant dans Sarrebruck. Cet engagement claironné dans l’opinion publique a tout l’air d’une victoire facile, mais il leurre les Français sur leurs véritables capacités. Cette « prise » a été possible car les Prussiens n’ont pratiquement pas combattu pour défendre la ville. Une sorte de repli tactique pour créer un vide agissant, qui rappelle la stratégie militaire d’un Sun Zi (ou Sun Tse) dans son Art de la Guerre.
Aussi Napoléon III et ses généraux ne saisirent-ils pas que les événements allaient rapidement prendre une autre tournure, bien plus fâcheuse. À Sarrebruck, le 2 août 1870, ce fut la dernière chevauchée napoléonienne d’un Arcole anachronique et en trompe-l’œil.

Bataille de Wissembourg : 4 août 1870

Qui sont ces soldats qui se livrent bataille, dans une petite ville au Nord de l’Alsace, en cette journée d’août 1870 ?

Cette image de Metz nous montre deux armées face à face, et des combats violents au corps-à-corps. Au fond, on distingue Wissembourg. En quelques heures, cette bourgade paisible jusque-là va voir se déchaîner, dans une lutte féroce mais déséquilibrée, les forces de deux armées. L’une est celle de l’Empire français, l’autre est celle de la Prusse et de ses alliés des principautés allemandes.

Mais le plus remarquable sur cette image, c’est la présence au premier plan de ceux qu’on appelait les « Turcos », ces tirailleurs recrutés en Algérie et dans les colonies françaises naissantes en Afrique. Pour la première fois, des troupes indigènes combattent pour la défense du territoire national. Elles formaient souvent des régiments de zouaves qui comprenaient des unités d’élite, comme celle qui s’illustra à Wissembourg sous les ordres du général Douay (nom mal orthographié dans le texte de cette image). Malgré leur sacrifice, conjugué à l’héroïsme d’autres soldats français, elles ne purent empêcher l’ennemi de pénétrer en Alsace du Nord.

Défense de Rambervillers

La capitulation de Napoléon III à Sedan provoqua la chute du Second Empire, et la proclamation de la République le 4 septembre 1870. Le Gouvernement de Défense nationale, présidé par le général Trochu, refusa de traiter avec l’envahisseur prussien et organisa la résistance.
Dans Metz assiégée, les habitants et les soldats, manquant de tout, se trouvèrent vite à bout de force. Pourtant, la France entière espérait que sa grande citadelle de l’Est tiendrait, le temps que les forces républicaines parviennent à refouler les Prussiens. Aussi la décision du maréchal Bazaine de livrer Metz à l’ennemi le 27 octobre est-elle accueillie comme une intolérable capitulation.
Car en ces jours d’octobre 1870, le territoire lorrain compte encore de très nombreuses poches de résistance, comme le montre cette Défense de Rambervillers, produite par P. Didion à Metz.
Autant de scènes héroïques, tragiques ou cocasses, où des personnages hauts en couleur illustrent la volonté de ne pas se rendre. Elles montrent toute l’importance de l’esprit patriotique des francs-tireurs qui participèrent à la défense du pays.
Lors de l’épisode des barricades, les gardes nationaux résistèrent farouchement, dans Rambervillers, face à un ennemi en surnombre. Cet acte de vaillance exceptionnel fut reconnu par la République, qui décora la commune vosgienne de la Légion d’honneur.