Le « compte général de la dépense » du roi Stanislas, une source pour l'urbanisme à Nancy

Compte général de la depence des edifices et batimens que le Roy de Pologne Duc de Lorraine et de Bar a fait construire pour l'embelissement de la ville de Nancy depuis 1751 jusqu'en 1759

Nicolas-Léopold Michel (1718-1782?) Texte. Jean Girardet (1709-1778) Dessins

Manuscrit sur papier. 39 fol. Grand in-folio, cartonné.
Nancy, Bibliothèque Stanislas : Ms. 1407

 

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Compte général de la dépence des édifices et bâtimens que le roy de Pologne duc de Lorraine et de Bar a fait construire pour l’embellissement de la ville de Nancy depuis 1751 jusqu’en 1759

Qui mieux que Nicolas-Léopold Michel pouvait tenir le registre des dépenses en ce milieu du dix-huitième siècle qui vit tant de boulversements architecturaux dans Nancy ? Michel était contrôleur général de la Maison de Stanislas, trésorier des bâtiments et premier secrétaire des archives. 

Ces qualités le désignent pour tenir les comptes et les consigner scrupuleusement dans ce registre manuscrit, le tout à partir du mois d’octobre 1751, début de la construction des premiers bâtiments jusqu’au mois d’avril 1759, « temps de leur achevement et perfection ». Le compte

« donnera une idée des grandes depenses que S[a] M[ajesté] a faites en acquisitions d'hôtels, maisons et terreins [sic] pour l'emplacement et construction des superbes édifices que l'étranger vient admirer à Nancy ». 

Au denier près, nous pouvons connaître les sommes perçues par le Sieur Lamour pour la façon et fourniture de ses fameuses grilles dorées, par le Sieur Guibal pour les ouvrages en fonte et sculpture des fontaines de Neptune et d'Amphitrite aussi bien que le coût des pavés ou la rémunération accordée au simple manouvrier qui fournit le chariot sur lequel on a conduit la statue de Louis xv depuis Lunéville jusque sur la place royale.

Les recettes nécessaires aux constructions sont développées sur six chapitres qui dévoilent les contributions des trésoriers de l’Hôtel du roi, de la cassette de Sa Majesté, de l’Hôtel de Ville de Nancy, les ressources issues du prix de la vente des maisons et terrains acquis par Sa Majesté mais aussi des matériaux provenant de la démolition de l’ancien Hôtel de Ville et enfin les contributions en nature que sont les plombs, étains et zincs cédés aux ouvriers des chantiers.
Les dépenses, quant à elles, se développent sur vingt chapitres dont la synthèse est donnée en introduction. En effet, le manuscrit s’ouvre

« sur un plan géométrique des deux villes de Nancy dans lequel les nouveaux ouvrages et les embellissemens que le Roy a fait seront distingués… Tels sont la Place Royale, celle de St Stanislas ou de l’Alliance ; les parties qui y sont relatives ; la Place appelée La Carriere ; le palais qui la termine ; les logements d’officiers de la garnison ; Enfin tous les travaux representés en une seule planche qui fera connoitre l’objet, la magnificence, et dans le discours qui suivra, l’utilité de ces immenses travaux, l’ordre, l’economie, et la celerité presque incroïable de leur execution ».

Ce plan général de Nancy levé en couleurs en 1758 est fort utile à la lecture et à la compréhension du nouveau paysage nancéien. 

En matière d'ornement, deux dessins similaires (f. 2 et f. 8) font rayonner les armes du roi Stanislas, soutenues par les aigles des duchés de Lorraine et de Bar, dans un ciel de gloire. Au delà des ornements, l'illustration donne à voir douze dessins à l'encre de chine et lavis d'encre attribués à Jean Girardet, premier peintre du roi. Le plus connu d'entre eux montre le roi Stanislas sur le chantier de l’hôtel de ville, assis sur un bloc de pierre et commentant les plans que lui montre son architecte Emmanuel Héré (1705-1763). Les autres dessins figurent, avec beaucoup de finesse, les bâtiments eux-mêmes. 


Le manuscrit est si précieux et si utile à la connaissance de l’histoire urbaine de la cité qu’il connut deux éditions imprimées dans les années qui suivirent sa rédaction. Ainsi, dès 1759, le libraire Claude-François Messuy fait paraître à Lunéville, sous le même titre que le manuscrit(1), une première édition qui portera à la connaissance de tous l’ensemble des dépenses liées à l’embellissement de la ville. En 1761, une seconde édition enrichie(2) est donnée par le même, prouvant la bonne réception de l'ouvrage. Cette seconde édition, plus aboutie(3), est généralement reliée avec le fameux Recueil des fondations …(4), qui présente la liste détaillée des œuvres charitables de Stanislas. Les dessins de Girardet ont été gravés par Dominique Collin (1725-1781), graveur de Stanislas et de la Ville, et par Engramelle, religieux augustin de Nancy.

https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_00GOO0100137001101348899


Un point reste à éclaircir quant à la provenance du manuscrit. Comment est-il parvenu jusqu'à nous ? Sur une page de garde volante, un ex-dono manuscrit à l'encre indique : « Donné par Masson fils comme témoignage d’affection à Monsieur Noel notaire ». Il s'agit peut-être d'un descendant du Sieur P. Masson dont le nom apparaît dans la liste des particuliers concessionnaires de terrains qui ont construit des bâtiments sur les nouvelles places ou rues de Nancy. Le manuscrit est donc offert au célèbre collectionneur lorrain François-Jean-Baptiste Noël (1783-1856) qui l'inscrira dans son catalogue au numéro 1150 . En 1858, Noël vend sa collection. La Ville de Nancy achète un certain nombre de pièces mais, curieusement, pas le fameux "Compte de la dépence". Au nombre des acheteurs privés figure Jean-Baptiste Thiery dit Thiéry-Solet (1803-1889) : c'est lui qui met la main sur le manuscrit et l'achète pour 12 francs(7). Le manuscrit entre donc dans une des plus belles et des plus riches collections lorraines du temps. Suivant le vœu de Thiéry-Solet, ses héritiers donneront l'intégralité de sa collection à la Ville de Nancy en 1921 : c'est ainsi que le manuscrit entre en collection publique et trouve place au cœur des réserves précieuses de la Bibliothèque Stanislas.

Bibliographie

Mireille François, Stanislas, un roi de Pologne en Lorraine, [exposition, Nancy, 2004-2005], Versailles, Artlys, 2004, p. 230. 

 

[1] L'orthographe du mot "dépence" se modernise en "dépense".

[2] 18 pages supplémentaires : p. 118-135.

[3] Les gravures offrent de notables différences. On trouve deux vignettes supplémentaires (l'une au portrait de Stanislas, l'autre figurant une allégorie des arts avec le plan de la nouvelle Place Royale) ; une Élévation d'une des deux grilles… gravée à nouveaux frais par Collin à la place de celle gravée par Durand dans l'édition de 1759 ; Idem pour la planche figurant le détail des grilles de Lamour et celle montrant la Porte Sainte Catherine.

[4] Recueil des fondations et établissemens faits par le Roi de Pologne duc de Lorraine et de Bar, qui comprend la construction d'une nouvelle place, au milieu de laquelle est érigée la statuë de Louis XV. & les bâtimens que Sa Majesté Polonoise à fait élever dans Nancy pour son embelissement. publié par Messuy en 1762, toujours à Lunéville.

[5] Catalogue raisonné des collections lorraines (livres, manuscrits, tableaux, gravures, etc.) de M. NOËL… Tome 1. Nancy : chez l'auteur, 1850-1851, n°1150, p. 208-209.

[6] Catalogue des principaux livres, manuscrits, monnaies, médailles, etc., provenant des collections lorraines de M. Noël dont la vente aura lieu le lundi 8 mars et jours suivants, à Nancy, rue de la Salpêtrière, Nancy, Peiffer ; Grimblot ; Guibal, 1858.

[7] Ibidem, n° 276, p. 34. Voir l'exemplaire annoté de la main de Thiéry-Solet, Nancy, Bibliothèque Stanislas, cote 4405.