Histoire

La Grande semaine anglaise à l'Exposition Internationale de l'Est de la France de 1909

Se rencontreront-ils ?

Contenu du La Grande semaine anglaise à l'Exposition Internationale de l'Est de la France de 1909

Se rencontreront-ils ?

L'Exposition Internationale de l'Est de la France de 1909

Se rencontreront-ils ?

Le titre de cette affiche est une énigme. C'est une affiche de grand format (1200 x 810 mm.). Elle sort des presses de l'imprimerie de J. Coubé à Nancy en 1909, l'année de la fameuse Exposition Internationale de l'Est de La France qui a révélé Nancy comme capitale industrielle, capitale régionale certes, mais l’évènement a suscité un enthousiasme comparable à celui des expositions universelles ! En skyline, la ville de Nancy avec ses monuments phares. L'un d'eux, un dôme ajouré culminant à 35 mètres de haut, placé dans la composition juste avant le titre de l'affiche, a aujourd'hui disparu : il s'agit de la porte monumentale du Palais des fêtes de l'exposition, palais qui sera démoli le 10 mars 1910. Le soir venu, sa silhouette était soulignée par des lampes à arc selon le "système Beck". Un puissant projecteur était placé dans le lanternon du sommet et éclairait toute l'esplanade située entre les palais et le parc d'attractions (entre la rue du Sergent Blandan et le Parc Sainte-Marie aujourd'hui).

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Se rencontreront-ils ?

Henri-Charles-Jean-Marie Hogard, dit Dry

L'affiche est signée H. Dry, une signature dont on reparlera ailleurs. «Humoriste à la verve pétillante comme le plus capiteux extra-dry.» (M. K. in Le Cri de Nancy du 20 mars 1909) Henri-Charles-Jean-Marie Hogard, se rendra célèbre sous le pseudonyme de Dry. En 1913, il est nommé juge suppléant au Tribunal de 1ère instance de Bar-le-Duc.

«Cette nouvelle pourra étonner beaucoup de nos concitoyens qui croyaient que Dry était un artiste définitivement fixé dans le choix de sa carrière. Au contraire, tout en dessinant des affiches que l’on recherche aujourd’hui, des dessins et des croquis que l’on se dispute, en peignant des hommes illustres et des paysages émouvants, M. Hogard pâlissait sous les codes, étudiant la procédure civile et criminelle (…). Dry a vu le jour en la charmante cité de St-Germain, que chanta Maurice Barrès ; il fit ses études au collège de Remiremont puis au lycée de Nancy. Reçu bachelier ès lettres, il suivit les cours de notre faculté de droit. En juillet 1908 il obtenait le grade de licencié. Il hésita malgré tout entre les Beaux-Arts qu’il cultivait déjà avec beaucoup de succès, mais il opta pour la magistrature.» (extr. de Nancy illustré, n° 6 juillet 1913)

Émile Goutière-Vernolle, un critique engagé

Revenons à notre énigme. Que voyons-nous ou plutôt qui voyons-nous ? Deux individus courent en sens inverse et semblent se fuir. À moins qu'ils ne fuient tous deux le même fléau. S'agit-il de deux précurseurs de Laurel et Hardy ? Non pas. Allure plutôt british, costume à carreaux et casque colonial, le grand escogriffe, en arrière plan, n'est pas encore identifié, mais, le personnage du premier plan est une figure nancéienne de l'époque : c'est Émile Goutière-Vernolle, le directeur de La Lorraine Artiste et du journal Le Progrès de l'Est. On le reconnait à son embonpoint et à sa chevelure rousse. Critique d'art, dreyfusard, engagé de la première heure dans l'Université populaire de Nancy, Goutière-Vernolle figure aussi parmi les fondateurs du comité nancéien de la Ligue des droits de l’homme. En 1909, au moment de l'Exposition internationale de l'Est de la France, il se voit confier la rédaction d'un nouveau titre fondé par les frères Corbin : Art et industrie. La revue paraîtra jusqu'en juillet 1914, veille de la déclaration de la Grande Guerre.

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La Grande semaine anglaise

Nancy la Coquette

Si notre deuxième protagoniste n’est pas identifié, son look nous met sur la piste. Un anglais ? 1909 ? Le cadre est posé : nous sommes en pleine semaine anglaise. Cette manifestation, programmée du 1er au 6 juin 1909, figurait au nombre des attractions majeures de l’exposition. Elle était d’autant plus attendue qu’elle venait en réponse à la Grande semaine lorraine qui s’était tenue à l’Exposition de Londres l’année précédente.

Une affiche spéciale avait été imprimée pour la Grande-Bretagne.

 

Affiche bilingue dans le Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy-1909. p. 782, source Gallica
Affiche bilingue dans le Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy-1909. p. 782, (source Gallica)

Pierre-Roger Claudin (1877-1936), auteur de l’affiche générale de l’exposition, avait aussi donné ce dessin pour la semaine anglaise. John Bull vient à la rencontre, non de Marianne, mais d’une petite Lorraine symbolisant « Nancy la coquette ».

 

Dessin de P.-R. Claudin dans le Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy-1909. Planche XXVI
Dessin de P.-R. Claudin dans le Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy-1909. Planche XXVI (Source Gallica)

 

Le maire de Nancy, Ludovic Beauchet, ainsi que tous les organisateurs de l’exposition, au premier rang desquels Louis Lafitte, Directeur général, avaient invité les nancéiens à pavoiser les rues et illuminer les maisons pour impressionner nos hôtes. Le London County Council, présidé par Sir Melvill Beachcroft, suivi d’une cohorte de notables, de parlementaires et de journalistes britanniques, ont pu visiter non seulement l’exposition, vitrine de l’art et de l’industrie, plus, du développement industriel, mais l’ensemble de la ville : les arts et les sciences ne pouvaient manquer au rendez-vous. Visite des monuments, de l’Université, des écoles, des parcs, des musées… de la bibliothèque avec ses « cent mille livres », rien n’échappe aux organisateurs dans ce parcours organisé pour nos amis britanniques. Les Magasins réunis font visiter le « tea room » ; Lady Beachcroft dépose une gerbe aux pieds de la statue de Jeanne d’Arc ; nancéiens et londoniens s’en vont en goguette sur la Moselle. 

Promenade sur la Moselle dans le Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy-1909. p. 789
Promenade sur la Moselle dans le Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy-1909. p. 789 (Source Gallica)

On s’amuse avec les attractions nouvelles, américaines, comme le Water-chute — un grand plan incliné entraînant les passagers de frêles esquifs dans un grand bassin — et le cake-walk — un tapis roulant du dernier cri où les piétons semblent danser la gigue. Entre banquets, toasts et menus de gala, le Couarail, une jeune académie lorraine, organise une soirée à la salle Poirel. Le Miracle de saint Nicolas, légende de MM. Guy Ropartz, Pierre Claudin et René d’Avril « enchanta les yeux par les projections en couleur, les oreilles par la musique et le poème ». Bref, l’entente cordiale est scellée ! Nos amis repartent par le train du matin le 7 juin :

« emportant de cette visite un ensemble de vues aussi sympathique que fortement documenté dont les journaux et revues de Londres se firent à ce moment l’écho. Ils laissèrent à Nancy le souvenir de leur très brillant passage et la conviction que, désormais, le Parc-Sainte-Marie était digne d’être présenté aux visiteurs les plus compétents et les plus difficiles… ce qui ne cessa plus d’avoir lieu à dater de cette semaine mémorable » (Rapport général sur l’Exposition internationale de l’Est de la France Nancy- 1909p. 790).

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Le Water-Chute : exposition de Nancy

 Avant d’en arriver à cette belle conclusion, les choses avaient failli mal commencer : en effet, le terrain de l’esplanade n’était pas tout à fait prêt et l’on pataugeait dans la glaise. L’Écho de Maréville n°229 l’évoque à sa manière : la semaine anglaise devient la grande semaine en… glaise ! Ce journal, dirigé par le « loufoque en chef » Lucas Strofe, ne se prend pas au sérieux, il portera d’ailleurs pour sous-titres « journal loufoque illustré et peu littéraire, paraissant à l’improviste : fondé pour ennuyer les gens graves » puis « fondé au XIXe siècle pour ennuyer les gens graves du XXe » puis « fondé en 1899 pour ennuyer les gens graves du XXe siècle ».

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L'Écho de Maréville du 1er janvier 1909

Les reconnaissez-vous ? Nos deux compères sont campés devant la porte monumentale de l’exposition et pataugent dans la boue. Avec son attribut — le parapluie, c’est bien Goutière-Vernolle toisé de haut par un confrère britannique quelque peu embarrassé. Nous connaissons maintenant le programme et pouvons répondre à la question de notre affiche : se rencontreront-ils ? C’est le fin mot de l’énigme.