Petit voyage en train durant le front populaire
Durant le mois de juin 1936 un voyageur en provenance de Paris se rend à Saint-Dié pour découvrir les Vosges.
Grace Gilbert
Personnages
Grace Gilbert
Giles E. Calvin
Arosina Gilbert, la mère
Giles Gilbert, le père
Madame Jenkins
Madame Williams
Madame Smith
Juge / Médecin
Passante 1
Passante 2, enceinte
Passant 1 / Spectateur 1
Passant 2 / Spectateur 2
Foule
Acte I, scène 1
Une salle à manger, près de la cheminée il y a trois enfants et un couple. La femme tient un nouveau-né dans ses bras.
Arosina Gilbert : Chéri, quelque chose cloche avec Grace…
Giles Gilbert : Mais non voyons, qu’est-ce-que ça peut faire qu’elle ait un p’tit duvet su’l’corps ? C’est bien normal j’suis sûr, c’mois de février est pas chaud c’t’année.
Acte I, scène 2
Grace a 16 ans, les poils sur son visage ont durci et foncé.
Grace : Maman, je ne veux plus aller dehors, les autres me traitent de mocheté, de monstre et me jettent des cailloux.
Arosina : Grace, tu ne peux pas comprendre encore mais c’est une chance pour toi d’être née ainsi. On en reparlera plus tard, va aider ton père à nourrir les bêtes.
Grace : Une chance ? Une chance ! Tu te moques de moi, toi aussi !
(Elle sort en courant)
Acte I, scène 3
1894, Grace a 18 ans. Toujours dans la salle à manger.
Grace : Maman, Papa, j’y vais !
Arosina : Oui, ma chérie, fais bien attention à toi. Tu reviendras à la maison quand la saison sera finie. Nous sommes très fiers, n’est-ce pas chéri ?
Giles : Fier ? D’avoir un monstre de foire pour fille ? Pfeu ! Tu d’vrais raser c’te vilaine barbe et t’trouver un bon mari qui s’ra pas trop r’gardant sur ton minoi.
Arosina : Giles ! Elle gagnera mieux sa vie avec le cirque Ringling Bros que dans une vulgaire ferme de Nettle Lake !
Giles : Elle est plus virile que moi c’te gamine. (Grace commence à pleurer) Elle fait quoi ta barbe, 45 ? 50 cm ?
Grace, d’une petite voix : 45
Giles : C’est une abomination…
Il sort, la mère et la fille se serrent dans les bras et elles sortent.
Acte II, scène 1
Grace apparait en robe, souriante devant une audience qui applaudit, elle est rayonnante.
Spectateur 1 en retrait de la scène où se trouvent Grace et la foule : Croyez-vous que ce soit vraiment une femme ? Elle a une carrure de bonhomme, regardez-moi ces épaules !
Spectateur 2 : Je suis bien d’accord avec vous, allons réclamer le remboursement de nos tickets, c’est une arnaque.
Grace jette un regard noir au deux spectateurs qui s’en vont.
De l’autre côté de la scène, un homme d’un certain âge la regarde amoureusement.
Tout le monde sort sauf Grace.
Acte II, scène 2
Grace est dans sa tente, elle finit de décolorer sa barbe.
Une voix (Giles E. Calvin) : Mademoiselle, puis-je entrer ?
Grace : Oui, entrez donc.
Giles E., ému : Mademoiselle, permettez-moi de vous dire à quel point je vous trouve merveilleuse. (Il lui tend un bouquet de fleurs).
Grace, se regardant dans la glace, peignant sa barbe : Merci Monsieur… (Elle se tourne pour prendre les fleurs, elle l’observe.) Nous sommes-nous déjà rencontrés ?
Giles : Ah ! Je n’osais espérer que vous vous souviendriez, vous étiez encore si jeune et …
Grace, le coupant : Excusez-moi mais je suis fatiguée, merci pour les fleurs, maintenant, veuillez me laisser.
Giles, aux anges malgré la rebuffade, sort.
Acte II, scène 3
Grace apparait dans son costume de scène, derrière elle, les noms des cirques où elle a travaillé défilent : Barnum et Baily circus ; McCadden circus ; Hagenback Wallace circus. Les années défilent aussi. Derrière elle, en lettres lumineuses : « The Lady with the Golden whisker (la femme à la moustache d’or) ». Des noms de pays s’affichent aussi : Angleterre, France (vidéo projection)
La foule applaudit, un peu à l’écart, on voit toujours Giles E. Calvin. On arrive en 1910.
Acte II, scène 4
Dans la tente de Grace.
Giles : Grace, chérie, veux-tu me faire l’immense honneur de devenir ma femme ?
Grace : Oui ! (Ils s’embrassent.) Mais que vont dire les gens quand ils l’apprendront ?
Giles : Qu’un jeune veuf et une star du cirque vont se marier.
Grace : Jeune veuf ? Tu as 53 ans ! (Elle rit) Non, à propos de… tu sais…
Giles : Ils n’ont pas à l’apprendre.
Acte II, scène 5
Grace et Giles sont devant un juge qui a l’air embarrassé. Il se tourne vers Grace.
Juge : Monsieur Calvin…
Giles l’interrompt en toussotant : Je suis Monsieur Calvin …
Juge, gêné : Ah oui, ahum, donc, Monsieur Calvin, voulez-vous prendre pour épouse Mademoiselle Grace Gilbert…
Le rideau se ferme lentement.
Acte III, scène 1
Passant 1 : Vous avez entendu la nouvelle ?
Passant 2 : Quoi donc ?
Passant 1 : C’est un scandale ! Le mariage de la femme à barbe est un coup de pub ! C’est une arnaque vous dis-je ! Le marié est son cousin !
Passant 2 : Impossible !
Passant 1 : J’en suis certain !
Passant 2 : C’est presque aussi incroyable que son allure.
Passant 1 : On est bien d’accord. Un mariage entre cousins d’abord, vous venez de souligner son physique - on ne peut pas dire qu’il reflète la féminité. Je vous le dis, dans quelques temps, on va apprendre que le juge a marié deux hommes.
Acte III, scène 2
Encore une fois en costume, Grace ne sourit pas. Elle est huée par les spectateurs.
Spectateur 1 : Allez, dis-nous t’es un homme, c’est ça hein !
Spectateur 2 : C’était un coup de pub, le mariage, tu nous f’ras pas croire que même un vieux veuille bien te serrer le soir !
(Rire gras de l’auditoire)
Grace digne mais émue ; elle lance un regard à Giles
Grace : J’annonce officiellement ce soir ma retraite du monde du cirque. Après en avoir discuté avec mon mari, je me retire et souhaite vivre une vie paisible dans sa ferme à Kalkasa.
Tout le monde sort.
Acte III, scène 3
6 ans plus tard (1916), dans une rue de Kalkasa (vidéo projection). Grace, sous un voile, traverse lentement la scène. Deux passantes entrent, l’une d’entre elles est enceinte.
Femme enceinte : Madame Smith, qui est cette personne voilée?
Madame Smith : Voyez ma chère petite, vous n’êtes pas là depuis longtemps, il s’agit de Madame Grace Calvin.
Femme enceinte : Grace Calvin ?
Madame Smith : Vous ne le saviez pas avant d’emménager ici ?
Femme enceinte : Mais je ne sais pas du tout qui cela peut bien être.
Madame Smith : Vraiment ? Croyez-moi mon enfant mieux vaut que vous ne la voyiez jamais sans son voile. Sa laideur a fait faire des fausses couches à plusieurs femmes de la région vous savez. Maintenant on l’oblige à porter un voile en ville.
Femme enceinte : Elle est si laide que cela ? Elle est mariée pourtant.
Madame Smith : Eh oui que voulez-vous, les goûts et les couleurs … Mais entre nous, une femme à barbe aurait mieux sa place dans un cirque qu’à la ferme !
Expression horrifiée de la femme enceinte qui pose la main sur son ventre.
Elles sortent.
Acte III, scène 4
Grace s’arrête devant une boutique (toujours voilée), une commerçante arrive.
Grace : Madame Jenkins, je voudrais acheter deux sacs de farine et une livre de sucre.
Madame Jenkins : Madame Calvin, croyez-moi, j’aimerais pouvoir vous les donner mais vous avez déjà une ardoise longue comme le bras dans mon établissement. Je ne peux plus rien vous donner.
Grace : Mais vous êtes la seule qui accepte encore de me parler. Vous savez, ça ne marche pas très bien à la ferme. Les récoltes ont été mauvaises et le bétail est mort subitement. Donnez-moi encore quelques semaines.
Madame Jenkins : C’est ce que vous avez dit à tous les autres. Il faudra que vous les payiez d’abord et je serai la dernière servie. Vous m’en voyez désolée mais c’est non Madame Calvin. Revenez quand vous pourrez régler vos dettes.
Madame Jenkins sort
Acte III, scène 5
Une table et des chaises ont été installées de l’autre côté de la scène, Giles entre, Grace arrive. Ils s’assoient et commencent à grignoter du pain.
Grace : Giles, je crois que je vais remonter sur scène. J’ai reçu il y a quelques temps déjà une proposition intéressante du cirque à Coney Island.
Giles : Coney Island ?
Grace : Oui, tu sais à New York.
Giles soupire et prends sa tête dans ses mains, coudes sur la table.
Giles : Le faut-il ?
Grace : Le faut-il ? Regarde la réalité en face Giles, on a à peine de quoi se nourrir. La moitié de la ville ne nous adresse même plus la parole. Nous sommes couverts de dettes…
Giles : Oui, tu as sûrement raison… Je suis désolé que l’exploitation de la ferme ne puisse subvenir à nos besoins.
Grace : Ne t’excuse pas chéri. Nous allons nous en sortir, comme toujours. Et puis, c’est quand j’étais sur scène que tu es tombé amoureux.
Giles la regarde et sourit : Oui
Grace : Alors c’est décidé.
Ils sortent.
Acte III, scène 6
1924, maison de Giles et Grace. Grace entre sur scène en toussant. De l’autre côté, une femme entre.
Madame Williams : Ma chère Grace ! Comme je suis heureuse de vous voir ! Mon fiston vous a vu sur scène, il vous a trouvée extraordinaire. Depuis que vous êtes dans la présentation des monst… ahum, des curiosités, très chère, c’est beaucoup mieux, beaucoup mieux m’a-t-il dit ! Depuis quand travaillez-vous à Coney Island d’ailleurs ?
Grace : Depuis 1916, Madame Williams, cela fait huit ans. (Elle tousse)
Madame Williams : Mon fiston va à Coney Island chaque saison voyez-vous. Et où est ce cher Monsieur Calvin ?
Grace : Il est resté à New York pour affaire. Il revient bientôt. (Elle tousse encore douloureusement)
Madame Williams : Quelle vilaine toux vous avez là ! Il faut vous soigner.
Grace : Oui, je souffre terriblement. Pourriez-vous aller chercher un médecin pour moi ? Je vais m’allonger en attendant.
Madame Williams : Mais bien sûr ma chère, entre voisines il faut s’entraider.
Elle sort.
Grace se couche. Elle tousse et ne bouge plus. Quelques instants plus tard Madame Williams revient avec un monsieur.
Madame Williams : Grace ? Grace ? Le médecin est ici. (Elle se penche sur Grace) Oh mon Dieu ! Elle a perdu connaissance ! Faites quelque chose docteur !
Le médecin se penche à son tour sur Grace.
Le médecin : Il n’y a plus rien à faire Madame. Elle est morte. La femme à barbe est morte.
FIN
Grace meurt le 11 janvier 1924. Elle a été enterrée près de ses parents au cimetière de Maple Grove, dans le Michigan. Son mari, Giles, meurt en 1936.
Grace Gilbert était une rousse flamboyante au physique solide, la légende raconte qu’elle aidait à la ferme et avait la force d’un homme. Parmi les « on-dit », qu’il a été choisi d’inclure dans la pièce, il y a la confusion entre le et la marié(e) par le juge le jour du mariage et le fait qu’elle fut obligée de porter un voile pour éviter des attaques aux femmes enceintes à Kalkasa.
Cette carte postale de femme à barbe américaine fait écho à la célèbre Clémentine Delait, femme à barbe de Thaon-les-Vosges. Outre leur barbe, leur point commun est qu’elles se sont toutes deux mariées. C’était assez rare pour ces femmes au physique particulier.
Sources
[En ligne : https://fr.findagrave.com/memorial/10915660/grace-gilbert] Consulté le 06/08/2020.
[En ligne : https://www.thehumanmarvels.com/?s=grace+gilbert] Consulté le 06/08/2020.
[En ligne : https://travsd.wordpress.com/2013/02/02/grace-gilbert-bearded-lady/] Consulté le 06/08/2020.
[En ligne : http://michigansotherside.com/grace-gilbert-michigans-bearded-lady/] Consulté le 06/08/2020.
Durant le mois de juin 1936 un voyageur en provenance de Paris se rend à Saint-Dié pour découvrir les Vosges.
C’est László Moholy-Nagy qui, vers 1925, forge le terme “typophoto”. Pour les avants-gardes, texte et image doivent faire corps pour véhiculer le message. Dès la fin des années vingt, l’usage de la photographie dans la publicité devient de plus en plus fréquent.
Qui peut deviner qu’un tyrosémiophile collectionne les étiquettes de fromages ?
La bataille du col de la Chipotte s'est déroulée en août 1914 dans les massifs situés entre les vallées de la Meurthe et la Mortagne. Le col de la Chipotte était une position clef sur la route menant vers Charmes et Épinal. Les Allemands attaquèrent ce col sans relâche et ont tenté de le contourner pour s'emparer de ces villes.
Lire pour connaitre, pour comprendre, pour s’évader, pour se construire, pour mûrir comme femmes et …