La mystérieuse Bête des Vosges

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02 septembre 2023 par Sophie ARMBRUSTER

L’histoire de la bête des Vosges prend naissance discrètement le 28 mars 1977. Cette nuit-là, à Domèvre-sur-Durbion, un éleveur découvre le cadavre de sept de ses brebis. L’affaire est fâcheuse, mais pas pour autant inquiétante : sûrement le forfait d’un animal errant à la recherche de viande fraîche. On ne sait pas alors que cette attaque est la première d’une longue série. 
Les jours qui suivent, des faits similaires ont lieu dans les environs : le 30 mars, onze brebis et agneaux à Hadigny-les-Verrières, le 31 mars une grande biche du côté de Romont. Enfin, un massacre plus conséquent le 09 avril : 26 brebis égorgées à Moriville. À compter de ce jour, on commence à s’interroger : quel est cet animal si assoiffé de sang ? Ces attaques à répétition instaurent un sentiment d’insécurité dans la région. Les éleveurs craignent pour la survie de leurs bêtes, les promeneurs évitent les escapades en solitaire… Un arrêté préfectoral interdit même aux enfants de rentrer seuls de l’école.

La traque commence. Afin de se prémunir des futurs agissements de la bête, le préfet et la gendarmerie, aidés des gardes-chasse, mettent en place des stratégies afin de la débusquer et de l’abattre.  Au vu des différents points d’attaque, on comprend qu’elle se terre dans la forêt de Rambervillers. En effet, les agressions se poursuivent sur les communes de Girecourt-sur-Durbion, Rehaincourt et jusqu’aux portes de la ville de Rambervillers. Des dizaines de bêtes sont massacrées à coups de crocs, parfois même en une seule nuit ! La première stratégie qui semble la plus adaptée à la situation, et qui sera mise en œuvre à plusieurs reprises, est la battue. De nombreux chasseurs participent, certains n’hésitant pas à traverser le pays pour prendre part à cette chasse singulière. À chaque signalement de l’animal, tous se rassemblent et tentent de l’encercler. Mais rien n’y fait, la bête se montre bien maligne et trouve toujours une faille au dispositif pour échapper au sort que l’homme lui réserve.

Au mois de mai, elle réussit à surprendre ses assaillants : elle change de territoire. Cap au sud vers la vallée de la Vologne. Ce sont désormais les troupeaux de Deycimont, Prey et Jussarupt qui sont visés. Elle reste dans le secteur quelques semaines, puis prend de l’altitude en s’établissant dans les Hautes-Vosges, plus précisément entre Gérardmer et Vagney. L’immense forêt de Noire Goutte, tout comme celle de Rambervillers au début de son histoire, lui offre un refuge idéal. Elle occupera ce territoire jusqu’à sa disparition quelques mois plus tard. Entre temps, la bête continue de frapper les communes environnantes : La Bresse, les Bas-Rupts, Gerbamont, Rochesson… Le 13 novembre, elle fait même un festin en attaquant au col de Grosse Pierre le plus gros troupeau de moutons de la région (1 000 têtes) : 37 victimes, et une centaine de moutons égarés dont on retrouvera progressivement les cadavres les mois suivants.

Face aux ravages de ce qu’on appelle aussi « le fléau des Vosges », la mobilisation monte en puissance. En plus des chasseurs et de la gendarmerie, on en vient à faire appel à l’Armée qui réquisitionne des hommes (parmi lesquels des tireurs d’élite) ayant pour seule mission d’abattre la bête. Le préfet fait également venir Édo, le meilleur chien pisteur de l’Armée. Au total ce sont des centaines d’hommes qui partent en guerre contre un seul animal ! Et tout cela en vain : la bête leur échappe encore et toujours. Certains parviennent à l’apercevoir, on lui tire dessus à plusieurs reprises sans jamais l’atteindre. Seul un homme parvient à la capturer… sur la pellicule de son appareil photo. Ce sera le seul cliché de la bête des Vosges. Pris dans sa course, la silhouette reste floue : est-ce un loup ? un chien ? La question demeure. 

Sur la nature de la bête, toutes les hypothèses sont sur la table. On sait que c’est un animal très intelligent, rapide et agile (on le voit sauter une clôture de 1,50 m), mais également puissant (il attaque de gros animaux tels de jeunes bovins de 200 kg). Au début, on pense bien évidemment à un loup, mais un loup ne tuerait pas une bête si ce n’est pour la manger. Cependant un chien, qui n’a pas cet instinct de préservation de la nourriture, pourrait le faire : alors est-ce un chien ? D’après les caractéristiques physiques de l’animal, ça ne semble pas vraiment plausible. Alors on entend toutes sortes de théories : on suppose un lynx, un dingo, un puma, ou encore une hyène… Parmi elles, une théorie prend le dessus sur les autres, pointant le coupable "idéal". Il s’avère que quelques années plus tôt, un industriel allemand s’est établi dans la région. Et plus précisément au Château des Verrières… tout près des lieux des premières attaques. Le riche propriétaire de ce domaine de chasse étendu, et qu’il a fait clôturer récemment, pourrait très bien s’être procuré un loup ou deux dressés à garder le parc, tel les loups de Palatinat. Les bêtes se seraient-elles enfuies et auraient-elles provoqué ce carnage ? Rien ne le prouve, et toutes les hypothèses sont ouvertes tant qu’elles peuvent donner une explication, aussi bancale soit-elle.

Tous les mystères qui entourent la Bête des Vosges ne seront jamais élucidés. En effet, malgré tous les moyens déployés durant des mois, aucun n’aura raison de la bête qui fait une dernière attaque le 15 novembre 1977… et disparaît définitivement. Est-elle partie plus loin ? A-t-elle été dévorée par plus gros qu’elle ? Ou quelqu’un a-t-il réussi à la capturer, la tuer discrètement contre récompense ? À l’instar de la raison de son apparition, sa disparition reste un mystère. Aujourd’hui encore, chacun est libre de s’inventer le début et la fin de l’histoire de la Bête des Vosges.

En plus du sang de centaines d'animaux, la bête des Vosges fit couler beaucoup d'encre, que ce soit dans la presse au moment des faits, dans des documentaires, ou encore dans des romans inspirés de son histoire. Les artistes également se sont emparés de l'affaire pour la décliner en oeuvres en tout genre, tel le graveur vosgien Jean-Pierre Lécuyer qui produit entre autre les estampes de La saga de la bête des Vosges, ou encore du Récit objectif et circonstancié de l'apparition effrayante de la bête des Vosges.
 

 

Sources :
Jean-Yves Chauvet, Les loups en Lorraine : histoire et témoignages. Le Coteau : Horvath, 1986
Robin Hunzinger, La Bête des Vosges : autopsie d’une rumeur, 2009
Gabriel Remy, En pourchassant la bête : chroniques fantastiques et confidences de la bête des Vosges. Nancy : G. Remy, 1978
Claude Vanony, La Bête des Vosges. Saint-Michel : C. Chopat, 2006
Divers articles tirés de La Liberté de l’Est en date des 10-12/04/1977, 14-23/04/1977, 26-30/04/1977, 02-05/05/1977, 07-10/05/1977, 15/10/1977, 03/11/1977, 06-07/11/1977.

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