Quatre figures lorraines dans la tourmente révolutionnaire
Henri Grégoire, dit l’abbé Grégoire, la foi en la liberté de tous les hommes
Voici une figure discrète, mais au caractère résolu, parmi les personnages qui incarnèrent les idées nouvelles de la Révolution française. Henri Grégoire, retenu par la postérité sous le nom d’abbé Grégoire, naquit à Vého, non loin de Lunéville, en 1750. Il fut instruit dès son plus jeune âge par le curé de son village, avant de suivre l’enseignement des jésuites à Pont-à-Mousson puis à Nancy. Après un passage au séminaire de Metz, il peut embrasser la prêtrise. Il devient curé d’Emberménil (paroisse voisine de Vého) en 1775. Sa charge ne l’empêche pas, toutefois, de voyager en Lorraine, en Alsace, et en Suisse notamment.
Pendant ces années, il élargit son champ d’horizon intellectuel et se nourrit des grandes réflexions de son temps. Il se signale par des écrits inspirés des idéaux de liberté et d’émancipation portés par les Lumières. Connu pour avoir pris la défense des Juifs et prôné leur émancipation dans son Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs (ouvrage couronné par la Société royale des Sciences et des Arts de Metz le 23 août 1788), il fut un esprit libre luttant en faveur des populations discriminées.
Envoyé par le clergé de Lorraine aux états généraux (mai et juin 1789), Henri Grégoire fut un des premiers à se déclarer pour la réunion de son ordre à celui du tiers état. Après avoir prêté serment à la Constitution civile du clergé, il fut élu évêque constitutionnel pour la Sarthe et le Loir-et-Cher.
Henri Grégoire voyait dans l'instruction et la connaissance de puissants leviers pour émanciper le genre humain. Dès les débuts de la Révolution, son intérêt se porta sur la question linguistique. Il fut à l'origine d'une vaste enquête sur l'usage du français dans les départements fraîchement créés. Elle aboutit au Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois, et d'universaliser l'usage de la langue française, qu'il présenta à la Convention en juin 1794. Pour l'abbé Grégoire, il était capital de faire sortir les provinces de leur arriération en promouvant l’usage du français, encore très marginal au regard des patois. C'est ce goût pour les vertus du savoir qui le conduit à être à l'origine de la création du Conservatoire national des Arts et Métiers (octobre 1794) et de la fondation de l'Institut de France (1795).
Ses réflexions aboutissent également à des publications en faveur de l’affranchissement des esclaves des colonies (Lettre aux citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue, 1791; De la traite et de l'esclavage des Noirs et des Blancs, 1815). Grégoire soutiendra sa vie durant la cause des hommes de couleur.
Après avoir survécu aux épisodes les plus terribles de la Révolution, l'abbé Grégoire manifesta sous l'Empire, en tant que membre du Sénat, une opposition déterminée au despotisme napoléonien. Il fut mis à l'écart sous la Restauration, mais non contraint à l'exil. Elu député de l'Isère en 1819, son élection fut annulée en raison de l'accusation (non fondée) de régicide qui pesait sur lui. Jusqu'à la fin de sa vie, il resta fidèle au serment le liant à la Constitution civile du clergé.
Henri Grégoire illustre la générosité d'un caractère qui ne pouvait accepter qu'un régime politique opprimât quiconque, pour quelque raison que ce fût. Il ne renonça jamais à ses idées. Lorsqu'il décède à Paris, le 28 mai 1831, plus de vingt mille personnes assistent à ses funérailles. Ses cendres reposent maintenant au Panthéon.