Quatre figures lorraines dans la tourmente révolutionnaire
Merlin de Thionville, un révolutionnaire passé par tous les régimes
L'Histoire est souvent composée de périodes qui se suivent et ne se ressemblent pas. Le saut historique que représente la Révolution française a permis à de nombreux personnages d'agir au premier plan, au plus près des événements. Sous l'ancien régime, ces homines novi de l'époque moderne seraient sans nul doute restés dans l'ombre en raison de leur naissance. Antoine-Christophe Merlin fut de ceux-là. Partons sur les traces de ce Lorrain qui fut un révolutionnaire fervent, un commissaire aux armées intrépide, mais aussi un opportuniste qui sut louvoyer afin de se retrouver du bon côté, échapper à la guillotine, et finalement traverser le Consulat, l'Empire et la Restauration pour décéder sous la monarchie de Juillet.
« Je suis né à Thionville le 13 septembre 1762 » : c'est ainsi qu'Antoine Merlin commence un récit qui aurait dû devenir ses Mémoires, s'il n'était pas mort avant de pouvoir l'achever. Issu d'un milieu de juristes de la petite bourgeoisie, le jeune Antoine est destiné par son père à une carrière ecclésiastique. Il entre au séminaire de Metz en 1779. Il montre de l'ardeur à l'étude et obtient le grade de maître-ès-arts en philosophie de l'Université de Nancy. Admis ensuite dans un séminaire de théologie, le jeune homme se rend compte qu'il n'est pas fait pour l'état ecclésiastique. Craignant la réaction de son père, il fugue d'abord chez un parent à la chartreuse du Val-Saint-Pierre-en-Thiérache, puis se rend à Paris, avant de revenir à Thionville. Les relations avec son père s'étant apaisées, il obtient le grade de licencié en droit de l'Université de Nancy (1788). Reçu avocat au Parlement de Metz, il plaide à Thionville où il réside. À la veille de la Révolution, il épouse Anne Blaise, une amie d'enfance, dont il aura trois enfants.
En 1790, il est nommé officier municipal et envoyé en délégation par les Thionvillois auprès du ministre de la guerre. C'est alors qu'Antoine Merlin se révèle et connaît une ascension politique fulgurante. Il est élu député de la Moselle à l'Assemblée nationale législative en septembre 1791, puis à la Convention nationale un an plus tard, et finalement nommé commissaire aux armées le 18 décembre 1792. Et comme il y a deux Merlin parmi les conventionnels, il sera connu sous le nom de Merlin de Thionville pour ne pas être confondu avec l'autre, qui sera appelé Merlin de Douai.
Il participe activement aux opérations militaires lors du siège de Mayence (décembre 1792-juillet 1793), avant de prendre le chemin de la Vendée où les populations s'étaient révoltées. Rappelé à Paris par le Comité de salut public en novembre 1793, il cherche à convaincre ses pairs de modérer la répression de la population vendéenne. Pourtant, politiquement, Antoine Merlin siège avec les Montagnards, dont il partage les convictions. Ainsi, autant Custine était réticent à accepter l'abolition des privilèges, autant Merlin se montre un adversaire déterminé de tout ce qui pouvait rappeler l'ancien régime. Il est de ceux qui demandent la mort du roi dans une célèbre lettre qu'il adresse au président de la Convention. Mais, opposé à Robespierre, il contribue à sa chute.
Après le 9 thermidor, Merlin reprend du service aux armées, lors du nouveau siège de Mayence (1794-1795), avant d'être élu député aux Cinq-Cents, puis nommé administrateur des postes. Il se retire alors peu à peu de la vie publique, sans pour autant accepter le régime napoléonien, dont le despotisme l'horripile. À la Restauration, il échappe au bannissement, mais est placé sous surveillance par la police de Louis xviii.
Non sans manifester une certaine forme d'opportunisme, Merlin de Thionville sut profiter de la vente des biens confisqués par les Révolutionaires au clergé et aux émigrés, entre autres. Il n'a pas pu être complètement disculpé de l'accusation de s'être enrichi au détriment du bien public, entre 1791 et 1795. Pourtant, son engagement de révolutionnaire fut sincère et entier : il illustre l'élan irrépressible d'un jeune homme, ardent patriote, ennemi des tyrans et farouche partisan de l'égalité, qui, pris dans le tourbillon de la Révolution, réussit à manœuvrer et finalement à sauver sa tête. Ayant connu tous les régimes, il n'a brillé que sous un seul, et au soir de sa vie, la République luisait encore dans ses souvenirs.