L'institut agricole de Roville, un projet bicentenaire

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Le 2 septembre 2022 sera célébré le bicentenaire de la signature du bail de l’institut agricole de Roville-aux-Chênes. Celui-ci, fondé par Mathieu de Dombasle (1777-1843), a la particularité d’être la première école d’enseignement agricole créée en France. Le but de son fondateur est d’expérimenter des pratiques d’agriculture plus modernes dans sa ferme exemplaire puis de les enseigner sur place à de futurs agriculteurs. Il espère ainsi révolutionner l’agriculture française.

Mathieu de Dombasle, un agronome moderne

Issu d’une famille d’aristocrates lorrains, Christophe-Joseph-Alexandre Mathieu de Dombasle naît en 1777 et meurt en 1843 à Nancy. Il est le fils aîné de Joseph-Antoine Mathieu de Dombasle et de Charlotte Lefebvre de Montjoye. Ses parents le placent à dix ans au collège bénédictin Saint-Symphorien à Metz. Suite à la suppression des ordres religieux pendant la Révolution, il fait un bref passage par l’armée révolutionnaire en 1794, puis intègre l’École centrale de Nancy, où il étudie les mathématiques ainsi que la physique-chimie. Cependant, on ne connaît que partiellement les premières années de sa vie qui sont assez peu documentées. Chimiste de formation, ses premiers travaux mettent au point une méthode permettant de déterminer si l’eau est potable. Déjà à cette époque, la méthode expérimentale tient une grande place dans son travail.

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L'artiste. Mathieu de Dombasle

Il réoriente rapidement ses recherches vers la transformation de la betterave en sucre. En 1810, il ouvre alors une sucrerie à Monplaisir, à proximité de Nancy. Cependant, il est confronté à une difficulté, la betterave n’est que très peu cultivée en Lorraine. Pour pallier ce problème, il décide de commencer sa propre exploitation de betteraves, c’est ainsi que débute sa carrière d’agronome. Cette entreprise se développe dans un premier temps dans un contexte favorable. L’Empire subit différents blocus qui empêchent l’importation de sucre de canne. La culture de la betterave pour la fabrication de sucre est alors encouragée. Cependant, lors de la chute de l’Empire, il doit faire face aux mauvaises conditions climatiques et à une conjoncture économique défavorable. Après cinq années d’existence, la sucrerie doit fermer ses portes.

Se concentrant sur son activité d’agronome, il utilise les locaux de son ancienne usine pour inventer un nouveau modèle, plus léger, de charrue qui peut-être tirée par seulement deux chevaux, contre huit pour les charrues traditionnelles. Il espère ainsi faire des économies sur les animaux d’élevage et convaincre des paysans peu fortunés d’investir dans ce nouveau modèle. La charrue Dombasle voit le jour en 1821 et connaît un important succès.

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Dessin de la charrue de Mathieu de Dombasle : planche I

 

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Dessin de la charrue de Mathieu de Dombasle : planche II
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Dessin de la charrue de Mathieu de Dombasle : planche III​​​​​​
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Dessin de la charrue de Mathieu de Dombasle : plache IV​​​​​

La ferme exemplaire de Roville

 En 1823, il décide de pousser plus avant son entreprise agronomique. Avec un ami de sa famille, Antoine Bertier, dont les fils ont épousé deux de ses sœurs, il crée la ferme exemplaire de Roville. En 1826, l’ensemble est complété par la création de la première école d’enseignement agricole de France. Durant cette même période, il est l’auteur d’une abondante littérature sur le sujet. Le site est ouvert pendant vingt ans, jusqu’en 1843. Mathieu de Dombasle décède quelques mois après sa fermeture.

Dans un premier temps est créée une fabrique d’instruments aratoires. Dès ses débuts celle-ci comprend quatorze ouvriers ce qui en fait un atelier important. Elle fonctionne en symbiose avec la ferme puisque les charrues qui y sont fabriquées sont directement essayées sur l’exploitation agricole de Roville. Grâce à son succès, la fabrique obtient une reconnaissance suffisante pour que l’État achète un grand nombre de charrues afin de les redistribuer ensuite aux différentes sociétés d’agriculture de province. En outre, les instruments aratoires sont vendus à un prix relativement abordable. Cela s’inscrit dans le projet de Mathieu de Dombasle de diffuser son modèle d’agriculture à une large échelle.

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Annales agricoles de Roville, page de titre

Depuis longtemps des fermes exemplaires sont fondées dans toute l’Europe afin de faire avancer la science agricole. Un tel phénomène ne se trouve cependant pas en France où, s’il y a de temps à autre des expériences innovantes réalisées par des particuliers, celles-ci ne sont jamais reprises. Il existe une certaine méfiance vis-à-vis du riche cultivateur qui fait des expériences car ce dernier a les moyens d’échouer et de perdre de l’argent, ce qui n’est pas le cas de la plupart des paysans. Avec son établissement,  Mathieu de Dombasle espère convaincre les cultivateurs plus modestes du bien fondé de nouvelles pratiques agricoles. L’établissement agricole de Roville s’étend sur 150 hectares. Le but est d’augmenter mais surtout de diversifier les cultures. Ainsi, la culture de la pomme de terre sert à nourrir du bétail en grande quantité dont l’engrais vient fertiliser la terre, tout en profitant des divers fruits de l’élevage du mouton, du bœuf, de la vache et du porc. Sont également faites des recherches sur l’irrigation. Il faut aussi développer l’usage des instruments aratoires, ce qui est possible grâce à la création de la fabrique.

La création d’une école n’est prévue que dans un second temps. En effet, il s’agit d’une entreprise coûteuse. Cependant, Mathieu de Dombasle accepte de former quelques jeunes agriculteurs, âgés d’au moins dix-huit ans. Ces derniers sont nourris et logés par des habitants volontaires de Roville. Il reçoit également des charretiers qui sont engagés pour une durée d’un an afin d’apprendre le maniement de ses nouveaux instruments aratoires. En théorie, tout le monde peut s’inscrire. Mathieu de Dombasle n’insiste que sur un point : les élèves doivent avoir une conduite vertueuse irréprochable, autrement ils sont renvoyés sans délai.

En 1826, l’institut d’enseignement se met véritablement en place, les frais de scolarité s’élèvent alors à 300 francs par an. C’est une somme importante qui montre que Roville s’adresse en réalité à des fils de paysans aisés. De fait, le projet de Mathieu de Dombasle est de former des « chefs de domaine », des gestionnaires modernes d’exploitations agricoles, qui, s’ils ne manient pas directement la charrue, doivent tout de même connaître le fonctionnement pratique des instruments aratoires. Il fonde donc son enseignement sur ce qu’il nomme la « clinique agricole ». Il remet en cause le système scolaire traditionnel, qui est basé sur la théorie et l’apprentissage des langues anciennes et préconise, au contraire, un enseignement fondé sur l’observation. S’il prévoit un cours de théorie agricole et un autre de comptabilité, c’est bien cette dernière qui tient une place prépondérante dans son institut. Ainsi, chaque jour, accompagné de quelques étudiants, il fait le tour de la ferme en commentant les divers travaux en cours d’exécution. Il privilégie les échanges entre professeurs et élèves aux cours magistraux.

Il y a une grande souplesse dans l’organisation de la scolarité. Les élèves sont libres de choisir le temps qu’ils passent à Roville. En effet, si Mathieu de Dombasle a conçu sa formation en deux ans, chacun est libre de partir avant. De plus, il n’y pas de calendrier fixe concernant le début et la fin de l’année scolaire. Dans ce contexte, l’enseignement est donc adapté à chaque élève. L’école ne délivre aucun diplôme. Une fois leur cursus achevé les élèves partent mettre en application leurs nouvelles connaissances sur leurs propres propriétés.

Echec et postérité de l'institut d'enseignement

La ferme de Roville ferme en mars 1843, quelques mois avant la disparition de Mathieu de Dombasle. C’est un échec économique, les rendements ne sont pas supérieurs à ceux des exploitations agricoles plus traditionnelles mais une réussite sur le plan pédagogique et technique. Ainsi, elle attire des élèves de toute la France, voire de l’étranger. Durant ses vingt ans d’existence, environ quatre cents élèves étudient à Roville, dont approximativement 10 % viennent de l’étranger. Dans la grande majorité des cas, ce sont des fils de paysans aisés qui se destinent à devenir chef de domaine ou professeurs.
En outre, la fin du bail entre Antoine Bertier et Mathieu de Dombasle se passe dans un climat très tendu. Antoine Bertier argue, en effet, que Mathieu de Dombasle lui a rendu des terrains très détériorés et demande d’importantes compensations financières. Leurs différents désaccords les mènent à demander un arbitrage. Ce dernier conclut que Mathieu de Dombasle a eu une très bonne gestion du domaine pendant vingt ans et ne relève que quelques réparations mineures à effectuer.

Plusieurs anciens élèves de Roville ont fondé leur propre institut agricole. Ainsi, l’institut de Roville exerce rapidement une influence certaine, puisque dès 1826, Auguste Bella fonde à Grignon un institut qui devient sous Charles X l’Institut royal agronomique. Jules Rieffel, lui aussi ancien étudiant à Roville, fonde à Rennes, en 1830, son propre institut.

Mathieu de Dombasle a également deux successeurs lorrains importants, Androphile Lagrue et Amédée Turck. Le premier n’a jamais été son élève mais est professeur à l’École normale d’instituteurs de Nancy dans les années 1840. Pour construire son cours, il lit les écrits théoriques de Mathieu de Dombasle et se revendique de ses méthodes. Le second fonde en 1840 l’Institut Sainte-Geneviève, non loin de Roville. Celui-ci se conçoit comme une continuation de Roville mais l’enseignement y est davantage articulé autour des travaux manuels. Parmi les six élèves de la première promotion, quatre ont d’abord étudié à Roville. Jusqu’à sa fermeture en 1855, l’établissement souffre de la comparaison avec Roville.

La personne de Mathieu de Dombasle a durablement marqué les esprits. Ainsi, il existe une statue et deux bustes à son effigie. La statue se trouve à Nancy sur la place portant son nom, tandis que les deux bustes se situent à Roville-aux-Chênes et à Dombasle-sur-Meurthe.

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Roville-devant-Bayon : le monument Mathieu de Dombasle avant le pillage du bronze par les allemands (1943)

Aujourd’hui encore, l’école d’horticulture de Roville se revendique de l’héritage de Mathieu de Dombasle.

Manon Rabillard (Ecole nationale des Chartes)

- de Dombasle, Mathieu, Annales agricoles de Roville ou Mélanges d'agriculture, d'économie rurale et de législation agricole, Paris, Mme Huzard, 1824-1837

- Knittel, Fabien, Mathieu de Dombasle. Agronomie et innovation. 1750-1850, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2009

- Fabien Knittel, « L’institut de formation agronomique de Roville-devant-Bayon (1826-1843) : Pratiques pédagogiques, bilan et héritages », Cahiers de RECITS, 2008, pp.57-75.

- Projet d'établissement par souscription, d'une ferme exemplaire d'une fabrique d'instrumens aratoires perfectionnés et d'un institut agricole à Roville, département de la Meurthe, Nancy, impr. Haener, 1821

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