Contenu du La colline de Sion dans la gravure lorraine.

La colline de Sion est une butte-témoin située à 30 kilomètres au sud de Nancy et dominant la campagne lorraine de ses 540 mètres d'altitude. Ce haut-lieu mémoriel et spirituel lorrain et national a inspiré de nombreux écrivains et artistes. C'est sans aucun doute Maurice Barrès qui en a donné les plus belles descriptions dans nombre de ses écrits et, plus notablement, dans sa Colline inspirée (1913). L'auteur lorrain a insufflé à des générations d'écrivains régionalistes et d'artistes sa vision de ce « lieu où souffle l'esprit ». Lui-même a écrit dans Mes cahiers (tome XIV, 1923) : « On ne pourra plus aller à Sion sans m'y trouver ». Les graveurs lorrains du XXe siècle, chacun à leur manière et selon leur technique de prédilection, ont eux aussi fait leur les merveilleuses descriptions barrésiennes.

Henri Lalevée

Il est des lieux où souffle l'esprit

Henri Lalevée (1927-1975), aquarelliste, dessinateur et graveur, formé à l'École des beaux-arts de Nancy et originaire de Taintrux dans les Vosges, s'est emparé des paysages du Saintois. Sous le crayon, le pinceau ou la gouge de l'artiste vosgien, les vergers et les prairies de ce sud de la Meurthe-et-Moselle se dévoilent derrière des rideaux de chardons ou d'arbres fruitiers « dansant comme un buisson ardent » (Simone Guillaume, Conservateur du Musée des Beaux-Arts de Nancy). Et au milieu des douces courbes du Saintois, Henri Lalevée érige d'imposants villages à l'architecture cubiste.

« Il y a des lieux où souffle l’esprit. La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. C’est la colline de Sion-Vaudémont. »

Maurice Barrès, La Colline inspirée, 1913.

La butte-témoin de Sion est un lieu très présent dans l'œuvre graphique d'Henri Lalevée. Son eau-forte « Il est des lieux où souffle l'esprit » (ci-dessus) illustre avec talent la citation de Maurice Barrès. Au premier plan de la composition, le graveur place des chardons, des arbres fruitiers et des peupliers de taille disproportionnée et aux formes anguleuses. Derrière cette végétation, au second plan, se dresse la colline de laquelle surgit, imposant et tout en géométrie, le village de Sion et son église qui semble percer le ciel de son clocher. Ce ciel, agité par la vigueur des traits de l'aquafortiste, vient animer cette gravure et lui insuffler l'esprit barrésien.

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Jacques Hallez

Notre-Dame de Sion

La colline de Sion est, depuis l'époque gauloise, un haut lieu de culte. Dieux et déesses se succèdent : Rosmertha, Mercure puis la Vierge Marie. Lieu majeur de la dévotion mariale et de pèlerinage dès le Moyen Âge, la première église de Sion est fondée au x e siècle puis est constamment agrandie pour accueillir la foule des pèlerins. Entre 1835 et 1852, l'église devient le centre de l'hérésie propagée par les frères Baillard et occupe ainsi une place de choix dans La Colline inspirée de Maurice Barrès qui dépeint ces évènements.

« Une église, un monastère, une auberge qui n'a de clients que les jours de pèlerinage, occupent l'une des cornes du croissant. »

Maurice Barrès, La Colline inspirée, 1913.

L'église, devenue basilique majeure en 1933, a peu fait l'objet de représentation gravée, les artistes préférant le paysage alentour et la colline. Toutefois, Jacques Hallez (Deneuvre, 1923 - 2021), vitrailliste, mosaïste et graveur, formé à l'École des beaux-arts de Nancy, place l'édifice religieux comme objet central de son aquatinte intitulée Notre Dame de Sion (ci-dessus). Un parti pris certainement lié à son goût pour l'art sacré qui se révèle surtout dans ses vitraux. Dans cette gravure, la basilique est très lointaine, noyée dans un ciel d'aquatinte gris et chargé de neige. Elle semble reléguée au second plan, l'artiste se concentrant sur les arbres décharnés et sur la pente calcaire recouverte de neige. Cependant, Notre-Dame de Sion, placée en proue de la colline, domine la plaine, et l'artiste s'évertue à esquisser les formes de la statue monumentale de l'Immaculée Conception qui haute de ses 7 mètres trône sur la tour-clocher. 

 

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Elisabeth Poydenot d'Oro

Une atmosphère pénétrée par une douce lumière

Diplômée de l’École des beaux-arts de Nancy en 1960, Elisabeth Poydenot d'Oro (Mirecourt, née en 1935), après une spécialisation en art mural, s’est expérimentée à la gravure dans l’atelier d’André Vahl. Sa parfaite maîtrise de la technique de l'aquatinte lui permet d'obtenir de sublimes dégradés monochromes et ainsi d'exceller dans les jeux d'ombre et de lumière. 

« La pleine lune versait les flots de sa lumière magique sur la plaine et sur la colline rendue plus mystérieuse. »

« En automne, la colline est bleue sous un grand ciel ardoisé, dans une atmosphère pénétrée par une douce lumière d'un jaune mirabelle. »

Maurice Barrès, La Colline inspirée, 1913.

Elisabeth Poydenot d'Oro a gravé à de nombreuses reprises la colline de Sion. La silhouette de cette butte doit être familière à cette enfant de Mirecourt et c'est pour cela, certainement, qu'elle a réussi à fixer, mieux que quiconque, les multiples lumières et atmosphères qui baignent la colline aux différentes heures du jour et de la nuit. Dans Vesprées lorraines (ci-dessus), elle nimbe la butte-témoin d'une douce lumière que tout observateur des lieux, à la nuit tombée, saura reconnaître. L'artiste s'attache également à représenter l'atmosphère et la lumière de la colline couverte de neige et par temps de pluie ou d'orage. Le rendu est toujours d'une grande délicatesse et tout en nuance. 

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Claude Weisbuch

Les verts peupliers élancés

Originaire de Thionville, Claude Weisbuch (Thionville, 1927-2014) a été élève de Camille Hilaire et d'André Vahl à l'École des beaux-arts de Nancy. Peintre et dessinateur, il s'est surtout consacré à la gravure et a expérimenté un grand nombre de techniques : lithographie, pointe sèche, eau-forte ou encore aquatinte. 

«  Au fond de ravins sinueux, le Madon, l’Uvry, le Brenon développent en secret les beautés les plus touchantes, cependant qu’ils rafraîchissent une multitude de champs bombés et diversement colorés, [...], des villages ramassés, parfois un cimetière aux tombes blanches sous les verts peupliers élancés. »

Maurice Barrès, La Colline inspirée, 1913.

Le paysage chez Weisbuch, est presque toujours le prétexte à une présence humaine. Toutefois il a fait le choix de consacrer une partie de son travail à la colline de Sion en l'estampant à plusieurs reprises à la pointe sèche ou en lithographie. Ces deux techniques lui offrent la possibilité d'exprimer sa virtuosité de dessinateur. Dans sa lithographie intitulée Sion (ci-dessus), à la composition très épurée et dessinée, il met au second plan la colline pour valoriser les « verts peupliers élancés » de la vallée. Quant aux pointes-sèches, elles permettent à ce maître du mouvement d'insuffler de la vie au paysage ; dans sa gravure La Colline de Sion (ci-dessous), les herbes volent au vent et le ciel s'agite sur la colline.

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La colline inspirée

Inspiré par le courant « misérabiliste » de l'après Seconde Guerre mondiale, Claude Weisbuch tend à remettre la figure humaine au centre de sa création artistique. Des années 1950 à 1954, il produit « une grande quantité de paysannes et de paysans lorrains, marqués par le poids du labeur ou l’horreur de l’histoire » (Épitomé, 2020). Dans les Grandes Glaneuses de Sion (ci-dessous), il efface toute trace de la colline. Il se concentre sur les deux personnages féminins armés de leur faucille qui dissimulent intégralement le paysage. Cette oeuvre s'inscrit pleinement dans l'œuvre de jeunesse de Claude Weisbuch.

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Les grandes glaneuses de Sion

Voir toutes les oeuvres de Claude Weisbuch relatives à la colline de Sion sur Limédia Galeries.

 

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Jacques Linard

Des parcelles de dessins géométriques

Élève de Robert Wogensky et de Camille Hilaire à l'École des beaux-arts de Nancy où il a lui-même enseigné les arts graphiques de 1950 à 1956, Jacques Linard (Nancy, 1931 - 2012) a produit un grand nombre de gravures à la pointe-sèche, à l'eau-forte et à l'aquatinte sur cuivre ou sur rhodoïd. Il s'est inspiré principalement de la nature, tant des paysages que des animaux, pour réaliser des compositions oniriques voire fantastiques.

« Elle est infiniment morcelée. Ses parcelles composent une multitude de dessins géométriques. Tantôt étendus côte à côte, tantôt placés en étoile, ce sont une série de petits tapis de tous les verts, de tous les roux, plus longs que larges : des tapis de prière. »

Maurice Barrès, Amori et dolori sacrum, 1903.

Dans son burin intitulé Sion, Jacques Linard dresse l'autel de la colline de Sion au centre de sa composition. Tout est géométrie dans cette gravure : le ciel, l'horizon, les champs, les arbres... Ses peupliers fuselés ponctuent les mosaïques agraires figurées telles des « tapis de prière » ou de la marqueterie. En miroir à la Basilique Notre-Dame de Sion, Jacques Linard est le seul graveur de ce corpus à représenter le monument hommage à Maurice Barrès.

 

Conclusion

Henri Lalevée, Jacques Hallez, Elisabeth Poydenot d'Oro, Claude Weisbuch et Jacques Linard, tous les cinq natifs des années 20 et 30 et anciens étudiants de l'École des beaux-arts de Nancy, ont laissé de belles gravures de la colline de Sion inspirée des descriptions barrésiennes. Avant eux, leurs maîtres et leurs aînés se sont également essayés à représenter ce paysage si singulier, notamment Paul-Émile Colin et André Jacquemin qui ont tous deux illustré La Colline inspirée de Barrès. 

Après eux, en 1962, afin de célébrer le centenaire de Maurice Barrès et le cinquantenaire du livre, les éditions Beaux livres grands amis, ont commandé à plus de vingt artistes, parmi lesquels des graveurs, l'illustration de La Colline inspirée : Mme [sic] Baille-Parisot, Robert Beltz, J.-M. Benoît, François Chapuis, Mme [sic] Collot, G. Collot, Géo Condé, Étienne Cournault, Roger Decaux, René-Antoine Giguet, Jacques Hallez, Camille Hilaire, Suzanne Hottier-Vahl, André Jacquemin, Michel Jamar, Odile Krier, Henri Lalevée, Jacques Linard, Roger Marage, André Vahl, Claude Weisbuch...