Contenu du Haut les crues !

L’été 2021 n’a pas été avare en événements climatiques extrêmes. De terribles incendies ont ravagé les forêts des pays méditerranéens. Plus au nord, trois pays européens, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, ont été touchés par des inondations dévastatrices. Pourtant, s’il est établi que le dérèglement climatique y est pour beaucoup dans les phénomènes qui nous touchent au XXIe siècle, les aléas météorologiques n’en ont pas moins frappé durement l’Europe au XXe siècle.

C’est le cas en Lorraine, dans les années 1910-1920, où des pluies torrentielles provoquèrent des crues qui marquèrent l’histoire de la région.

Les Vosges et Épinal durement touchés

Les fêtes de Noël 1919 furent placées sous le signe d’un déluge qui fit grossir la Moselle jusqu’à provoquer des inondations exceptionnelles : la ville d’Épinal fut particulièrement touchée. Rues, avenues, passerelles, ponts, habitations et autres édifices : l’eau n’a rien épargné dans son irrépressible montée.

Les crues précédentes furent nettement dépassées. À ce titre, Le Télégramme des Vosges est une bonne source de renseignements. Dans son édition du 26 décembre, il indique que « les ponts et chaussées donnent, pour le maximum atteint au-dessus de l’étiage, 5 m. 30 ». Et de citer « les chiffres officiels des crues les plus célèbres » : 4 m le 25 octobre 1778, 3 m 70 le 11 décembre 1833, 3 m 74 le 27 février 1844, 3 m 45 le 9 mars 1896…

Par bonheur, une décrue s’amorce rapidement, malgré des précipitations toujours abondantes. C’est encore Le Télégramme des Vosges qui nous renseigne : « Malgré la pluie tombée jeudi soir et dans la nuit de jeudi à vendredi, la Moselle continue de baisser rapidement » (27 décembre 1919). Ce répit fut hélas de courte durée : le mois de janvier 1920 allait à son tour connaître des journées et des nuits de pluies diluviennes.

De telles inondations ne furent pas sans conséquence sur la population : à Châtel-sur-Moselle, « on signale la disparition de deux personnes qui sont vraisemblablement noyées. M. Gérard, facteur, dont on a retrouvé la pélerine et le vélo, et une femme dont on ignore le nom. » (Le Télégramme des Vosges du 27 décembre).

La Meurthe en crue envahit Nancy et ses environs

Le drame des inondations fut tout particulièrement poignant à Nancy, où la population se retrouva surprise par la brusque montée de la Meurthe. L’Est Républicain du 27 décembre 1919 se fait l’écho de la catastrophe, tout en annonçant l’ouverture d’une souscription.  Le journal précise que c’est « entre Tomblaine et Maxéville que la rivière a accumulé les ruines et causé des dégâts en majeure partie irréparables ». Quelques heures auparavant, la Meurthe s’était répandue dans plusieurs quartiers de Saint-Dié, qui furent coupés du reste de la ville.

Dans son édition de la veille, 26 décembre, L’Est Républicain indiquait que cette crue accusait « une augmentation de trente-trois centimètres sur la crue des 9-10 novembre 1910, présente encore à toutes les mémoires », et continuait avec ce triste constat : « Cet événement qui entre dans l’histoire, aussi facilement que l’eau pénètre par les soupiraux et dans les maisons, a provoqué d’autant plus d’émotion qu’il se produisait dans un moment de liesse, de carillons, de choucroutes odorantes et de vins sortis des caves avant que la Moselle ne s’y engouffrât ! »

Les réjouissances du Réveillon furent certes gâchées, mais il y eut plus grave : de nombreux sinistrés se retrouvèrent sans logement en plein cœur de l’hiver. C’est ainsi que les habitants de la plaine de Tomblaine virent se répéter les moments d’angoisse et de peine qu’ils avaient vécus dix ans plus tôt, lors des crues de janvier 1910.  Les inondations révélèrent la précarité de l’habitat, les conditions de vie difficiles et une forme de misère sociale pesant sur la population de certaines communes. « Où va-t-on nous abriter ? Il n’y a de place nulle part… se lamentaient les femmes entourées de marmots en larmes » (L’Est Républicain). Les sinistrés de Tomblaine furent donc provisoirement hébergés dans des casernes. Mais à plus long terme, « la crise des loyers se dressait devant des familles sans asile », selon L’Est Républicain.

Contenu du Haut les crues !
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Qui l’eût cru ?

De telles crues, et les destructions qui les accompagnèrent, pouvaient-elles être anticipées ? Comme à toutes les époques, les colères de la nature ont laissé les hommes impuissants face à deux phénomènes : le caractère difficilement prévisible des cataclysmes, et leur puissance de déchaînement démesurée. Et comme souvent, à toutes les époques, les hommes ne purent que se tourner vers la croyance en une force supérieure, inconnue, à l’origine des événements.

C’est ainsi que certains se mirent à établir des correspondances entre ces journées de déluge et les prédictions d’un « astronome américain ». Nous lisons ainsi dans Le Télégramme des Vosges du 29 décembre : « On peut devant ces crues successives se demander si vraiment il n’était pas une part de vérité dans les prédictions de l’astronome américain. C’était le 17 que devait avoir lieu la fin du monde au milieu de cataclysmes effrayants. Le 18, nous nous sommes réveillés comme la veille, mais ces pluies, cet hiver anormal ont peut-être leur cause dans quelque phénomène, exagéré sans doute par l’Américain, mais pourtant bien réel. »

Cet astronome, c’est un certain Albert Porta, qui avait prédit la destruction de la terre et du soleil pour le 17 décembre 1919. Selon ce curieux personnage, l’alignement de six planètes allait provoquer des courants magnétiques qui causeraient de gigantesques explosions. Mais devait-il s’agir là d’un châtiment divin ?

De manière amusante, Le Lorrain du 24 décembre 1919 avait évoqué avec humour cette prédiction farfelue, dans un entrefilet intitulé « Pronostic américain » : « Certain astronome américain et non des moindres, avait prédit la fin du monde pour le 17 décembre. Il semble qu’il se soit trompé, et nombreux sont ceux qui avaient cru à cette prophétie et qui, voulant s’offrir avant de mourir, une dernière joie, sont allés acheter du Chocolat Stanislas. En vente, 38 rue Serpenoise, et dans toutes les bonnes Maisons ». Du chocolat au lait cru, sans doute.